mercredi 23 octobre 2019

Combien ça coûte ... vraiment ?

La lecture du livre Le bug humain de Sébastien Bohler m'a donné l'occasion de me pencher sur un enjeu que j'avais déjà perçu il y a quelques années à la lecture du livre L'apprentissage du bonheur de Tal Ben Shahar, un des fondateurs de la psychologie positive. Il s'agit de la capacité de l'être humain à faire ses choix en prenant en compte l'avenir. Il s'agit d'un élargissement temporel notamment par rapport à notre santé : intégrer les impacts à moyen et long terme de nos actes sur notre santé physique, psychique et sociale. Il peut s'agir de la consommation de nourriture salée/sucrée/grasse, de sodas, de l'alcool, de la cigarette, ...  mais aussi de nos comportements numériques (emails, réseaux sociaux, surf sur internet, jeux, ...). Autant de comportements participant à l'explosion de l'obésité et des addictions.

La tendance de notre société à l'égocentrisme pose aussi l'enjeu de la capacité à prendre des décisions en intégrant les impacts sur autrui, sur d'autres territoires et sur la planète. C'est le cas par exemple pour une industrie qui produit des gaz à effet de serre (GES), des pollutions des eaux ou par voie aérienne qui vont diffuser bien plus loin que les alentours. Il s'agit là d'un enjeu d'élargissement spatial.

Je prends l'exemple de l'achat d'une voiture.

Au-delà du choix du modèle et du type de besoin, la question souvent centrale est : "A quel (bon) prix je vais l'obtenir ?" Et en passant, c'est toujours mieux de la payer un peu moins cher que les autres pour flatter son ego. La question "Combien ça coûte ?" étant entendu comme "Combien ça me coûte maintenant ?".

Un premier niveau d'élargissement temporel est souvent actionné à travers un critère souvent important au vu du prix des carburants : la consommation. On se projette en avant pour évaluer plus ou moins précisément l'impact sur le porte-monnaie, mois après mois.

Ce qui est probablement beaucoup moins souvent le cas, c'est d'évaluer le coût d'entretien, le prix des pièces détachées, l'éventuel surcoût d'assurance dans le cas de renouvellement d'une voiture.

Pour généraliser, l'élargissement temporel pour le cas d'une voiture fait prendre en compte dans la décision d'achat le coût d'usage et pas seulement le coût d'acquisition. Quand je dis "coût", il s'agit  pour l'instant de l'aspect financier.

Si on reste au niveau individuel (l'acheteur) le mot "coût" peut-il avoir un autre sens ? Oui :

  • l'énergie plus ou moins grande dépensée pour choisir la voiture, pour négocier âprement le prix, éventuellement pour la financer, pour se débarrasser de la voiture précédente de la manière la plus avantageuse, en profiter pour changer d'assurance, ...
  • l'énergie éventuelle dépensée à convaincre son conjoint qui trouvait peu opportun ce changement de véhicule
  • le stress que quelqu'un raye ce beau bijou
  • l'agacement de constater que pour le moindre petite chose à changer, il faut passer par la case garage car cela nécessite un équipement professionnel
  • le fait de moins marcher depuis l'achat de la voiture qui rend encore plus sédentaire et donc impacte négativement la santé
  • ...
Passons à un élargissement spatial qui pose la question "Combien ça coûte au-delà de ce que ça me coûte à moi ?".

Imaginons que j'achète un gros SUV, en m'étant acquitté du malus automobile car il est plus polluant que la moyenne (le malus peut aller jusqu'à 10 500€ en 2019 et 12 500€ en 2020). J'ai largement les moyens de me le payer et de payer une consommation supérieure à la moyenne.



En quoi ce choix fait qu'il coûte plus à la société et à la planète ?
  • plus de pollution à l'usage : des plus gros rejets de CO2
  • en cas d'accident avec un piéton ou un autre véhicule, les risques de mortalité pour autrui est multiplié par 2 dans le premier cas et par 3 dans le second
  • de manière plus anecdotique mais à noter : les SUV sont plus longs et prennent plus de places en stationnement dans les rues
  • pour les personnes aux revenus plus modestes qui veulent acquérir ce type de voiture, ne reste que la possibilité d'acheter des modèles anciens encore plus polluants.
Globalement, combien ça coûte à la planète ? Il n'y a pas que l'émission des gaz à effet de serre due à l'usage de la voiture. Il y a l'impact environnemental du fait de la production du pétrole, de son raffinage pour obtenir le carburant nécessaire pour rouler. Pour revenir en amont : il y a l'empreinte écologique de l'extraction des matières premières qui entrent dans la fabrication de toutes les pièces de l'automobile, celle de leur acheminement, de la fabrication, du transport de la voiture, surtout si elle a été fabriquée sur un autre continent. Et puis, pour terminer le cycle de vie, il y a les coûts de recyclage du véhicule.

Et évidemment, plus souvent on change de voiture, plus on participe à la recréation de coûts en amont et en aval de l'usage. A noter que l'augmentation attendue du taux d'accès à l'automobile en Chine dans les années qui viennent pèsera certainement en tant que frein à la réduction des GES.

L'élargissement spatio-temporel dans la prise de décision d'achat d'un nouveau véhicule permet de freiner un achat qui serait principalement déclenché par le désir, le plaisir et/ou la comparaison sociale (mon voisin s'est acheté une voiture récemment et me nargue). 

Parlons des gadgets !

Le niveau élevé de prix d'une voiture représente un frein et une forme de garde-fou contre un achat impulsif. Ce qui n'est pas le cas quand on entre dans un magasin vendant toutes sortes de choses à des prix défiant toute concurrence : 1, 2, 3, ... 5 euros. Il y a une tendance à acheter même si on n'en a pas besoin parce que ça n'est pas cher, parce que c'est original, parce que c'est à la mode, ... Souvent on a bien conscience que ce n'est pas qualitatif, pas solide, ... mais quel risque prend-t-on puisque ça ne vaut rien ?

Et justement à la fois :
  • ça ne vaut effectivement rien et très rapidement ça finira aux mieux à la déchetterie pour recyclage et au pire dans la poubelle classique mélangé avec les épluchures et la bouteille de lait en plastique vide. Et sans trop de regret, ni trop de scrupule, avec grosso modo l'idée qu'on en a eu pour son argent, ce qui est en réalité faux puisqu'on a quand même payé un petit quelque chose pour rien. Petit quelque chose multiplié par toutes les fois où l'on achète ces riens, ça finit par ne plus faire rien selon le principe que les petits ruisseaux font les grandes rivières.
  • ça coûte en réalité pour la planète en pratiquant l'élargissement spatio-temporel, ce que je vais préciser ci-après
En effet, ces choses, bien souvent en matière plastique sont issus du pétrole, qu'il a fallu extraire. Il y a eu le processus de fabrication sur d'autres continents parce que ça ne coûterait pas ce prix fabriqué en France ou en Europe. Il y a donc à prendre en compte aussi le transport maritime dans des containers sur des bateaux gigantesques fonctionnant au pétrole lourd, donc très très polluants. Et en fin de boucle, ce que je disais précédemment, l'empreinte écologique en tant que déchet. Je n'ai pas de chiffre, mais probablement que le coût pour la planète d'un gadget payé 1€ doit peser bien plus lourd. 

Une extase qui coûte cher


Et c'est ici que j'enfile ma casquette de spécialiste de la Qualité de Vie au Travail pour une prise de conscience que l'élargissement spatio-temporel doit prendre en compte non seulement la dimension écologique mais aussi la dimension sociale avec une idée fort simple : un petit prix est très souvent (voire systématiquement) corrélé avec de petites conditions de travail de toutes celles et ceux qui ont contribué à l'achat : extraction, fabrication, transport, et vente dans des magasins discount qui sont souvent aussi "discount" en matière de conditions de travail des salariés. "petit" pouvant aussi qualifier la taille des êtres humains qui ont contribué : j'évoque ici le travail des enfants dans certains pays.

Au bout du compte et je me permettrai cette synthèse triviale : on achète de la merde fabriquée dans des conditions de travail de merde, en rejetant de la merde dans l'atmosphère, et très vite après l'achat en jetant cette merde comme déchet dont le traitement rejette aussi de la merde. Tout ça pour un euro.

Conclusion : beaucoup d'objets qu'on achète coûtent beaucoup plus à la planète qu'ils nous coûtent financièrement au moment de l'achat. Des objets qui seront passés dans nos vies comme des étoiles filantes mais qui contrairement aux étoiles filantes laissent une balafre indélébile. N'est-on pas débile ?

Je conseille vivement le MOOC "Zéro déchet" qui pose particulièrement bien, non seulement la question du déchet, mais aussi quantité de sujets comme celui du contenant de ce qu'on achète, du contenu avec pour principe premier : "le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas" qui est à entendre dans le sens "la meilleure façon pour réduire les déchets, c'est de ne pas acheter ce dont on n'a pas vraiment besoin".

Ai-je fait le tour de la question de l'élargissement spatio-temporel ? Au-delà de considérations sur l'humilité et la lucidité, la réponse est NON. En effet, il y deux autres aspects que je traiterai dans un prochain article :

  • il faut considérer non seulement les coûts mais aussi les bénéfices et en résultante, le rapport coût/bénéfice (Sébastien Bohler explique qu'il existe 3 types de neurones dans le striatum - partie du cerveau la plus ancienne - pour les 3 niveaux d'évaluation) sachant que la tendance actuelle est de chercher un profit/plaisir immédiat pour un coût minimum, le coût étant évalué de manière très partiel
  • je me suis centré dans le présent article sur l'acheteur individuel, ce qu'on appelle le "consommateur". Il me faut aussi évoquer les acheteurs institutionnels (entreprise, administration, association, ... ) ou collectifs (groupement d'achat) et ce en quoi les Etats entretiennent la consommation frénétique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire