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Voici le 24ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
Cette chronique fait écho à un module du MOOC Transition Intérieure produit par le mouvement Colibris. MOOC que je vous conseille vivement et qui n'est pas encore terminé.
Il s'agit précisément de la vidéo suivante dans laquelle s'exprime Michel Maxime Egger, sociologue, écothéologien, responsable du Laboratoire de Transition Intérieure et auteur de plusieurs livres sur le sujet de l'écopsychologie et l'écospiritualité.
Le titre de la vidéo "Le·la méditant·e-militant·e : une autre manière de s’engager", au sein du module "10. Se relier à plus grand que soi : devenir des méditant.es-militant.es" :
Vidéo de l'Université des Colibris sous licence Creative Commons CC BY-SA
Pourquoi mon intérêt pour cette vidéo ?
Dans mes interactions professionnelles et non professionnelles avec le secteur de l'ESS (Economie Sociale et Solidaire) et des mouvements de transitionS (transitions de toutes sortes), j'ai constaté de manière très très très récurrente des problématiques d'engagement et des déficits de bienveillance, notamment à soi-même, et aussi de la part des collectifs envers les membres qui les portent et portent les projets.
Je déplore un manque d'investissement des collectifs, du secteur de l'ESS et des mouvements de transitionS par rapport à ces enjeux. Un manque que je mets sur le compte d'une absence de bienveillance plutôt que sur le compte de la malveillance (référence à ma modélisation d'une échelle de de la bienveillance avec 3 segments : bienveillance, absence de bienveillance et malveillance).
Des collectifs et communautés essentiellement focalisés sur le projet, sous-investissant l'attention aux êtres humains qui portent le projet. Avec des situations et scénarios qui se répètent à l'infini : des projets portés essentiellement par un petit noyau de personnes qui sont surengagées, avec bon nombre de ces personnes finissant dans l'épuisement et/ou une lassitude et/ou du mal-être. Un sentiment d'impuissance individuel, collectif et généralisé à trouver des alternatives à un type d'organisation qui se veut vertueux, démocratique mais qui crée souvent des dommages collatéraux internes considérables.
Cette vidéo peut participer à une conscientisation par les actrices et acteurs de l'ESS et de mouvements de transitionS des enjeux d'un juste engagement de leur part ET de la responsabilité des collectifs et communauté par rapport au juste engagement et au bien-être de leurs membres, qu'ils soient salariés, dirigeants ou bénévoles ET d'une responsabilité interpersonnelle envers les autres membres qu'elles·ils côtoient. Et donc en cela, on peut voir émerger un enjeu d'articulation de responsabilités de bienveillance - au même titre que pour la QVT (Qualité de Vie au Travail), enjeu que j'exprimer à la première personne du singulier :
- la bienveillance à moi-même,
- la bienveillance à autrui, dans mes relations interpersonnelles (en invitant à la réciprocité),
- la bienveillance du collectif aux membres du collectif (notamment envers moi, et avec ma contribution au sein du collectif pour faire vivre cette responsabilité collective envers les individus)
Croisement de regard avec ma modélisation d'une Société et de Territoires de la Bienveillance
Michel Maxime Egger (MME dans la suite de cet article) évoque 5 attitudes individuelles "constituant aussi de bons antidotes pour prévenir le burn out" :
- Le non-agir
- L'humilité
- L'intention juste
- La fécondité
- Le détachement
Certaines de ses attitudes s'entrecroisent. Par exemple : le détachement, exprimé par le fait que les résultats ne nous appartiennent pas, se relie avec l'humilité.
Il évoque aussi des "vertus écologiques". Il cite notamment "la gratitude, l’émerveillement, le respect, la compassion, l’humilité et la responsabilité". J'imagine que la bienveillance fait partie aussi de ces vertus écologiques. De mon côté, plusieurs de ces vertus figurent dans ma vision de la bienveillance.
Alignement du "Pourquoi", du "Comment" et du "Quoi" par la Bienveillance
Je constate que dans notre culture du "faire", du "pragmatisme" (qui flirte souvent avec le "cynisme", façon "la fin justifie les moyens") traverse à la fois la société libérale et malheureusement aussi les secteurs et mouvements alternatifs. Une culture où l'urgence est reine. Une culture qui risque malheureusement de continuer à se propager avec la question de l'urgence climatique. Posant ainsi un enjeu qui selon moi est central : comment faire face aux "vrais" urgences (notamment climatiques et environnementales) sans tomber dans le travers de foncer sur le "faire" sans poser le "pourquoi" et le "comment".
MME dit "la personne méditante-militante préfère la fécondité, qui porte des fruits parfois invisibles et à long terme, là où l’efficacité peut conduire à forcer le cours des choses en fonction d’un programme et d’un résultat mesurable".
Le piège que j'ai constaté à de nombreuses reprises est le déficit de travail des collectifs sur une raison d'être exprimée par des "Pourquoi", "Comment" et un "Quoi" alignés. Un raccourci qui conduit directement au "Quoi" et malheureusement à adopter sans conscience un "Comment" proche de celui des modèles prédominants dénoncés. Et une fois que ce "comment" non vertueux est ancré dans les habitudes, il est assez compliqué de revenir dessus (par impuissance, manque de temps, manque de lucidité).
Un alignement entre le "Pourquoi" et le "Comment" que MME exprime par "l’une des clés de l’engagement est la manière de s’engager, qui est aussi importante que ce pour quoi l’on s’engage".
MME poursuit par "la fécondité impose de s’insérer dans un processus de transformation". Une "articulation entre transformation de soi et transformation du monde" qui met la transition intérieure comme composante du "Comment". Cela donne aussi comme enjeu de relier la raison d'être collective avec la raison d'être individuelle. Le plus vertueux et durable étant de co-construire la raison d'être à partir des raisons d'être individuelles.
4 dimensions de Bienveillance
Je croise maintenant quelques propos de MME avec les 4 dimensions de l'élément central de modélisation de la Société et de Territoires de la Bienveillance : 4 dimensions indissociables et réplicables de la Bienveillance.
Je croise les mots de MME sur l'humilité "Elle ose poser des limites et elle apprend à dire non pour prendre soin de soi" avec la dimension "Vous en moi" : la bienveillance de l'individu à sa santé physique, psychique et sociale, et qui va au-delà de ne pas tomber malade. Je me réfère à la définition de la santé par l'OMS : "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité".
Quand MME dit sur l'intention juste "la qualité véritable de notre action dépend de nos motivations profondes, de l’orientation de nos désirs et de l’authenticité de nos intentions", je le relie avec la dimension "Moi Je" qui relie les autres enjeux de bienveillance avec les aspirations profondes pour s'assurer de contribuer à des collectifs et communautés ("Moi dans des Nous") et d'interagir avec autrui ("Toi et moi") de manière authentique. Il s'agit aussi de mettre des ingrédients d'enthousiasme, d'envie, de joie de vivre, d'intérêt (curiosité) dans l'agir.
Humilité, signalement et détermination
Concernant l'attitude d'humilité, MME dit "se méfier du militantisme sacrificiel et de sa prétention implicite à détenir la vérité et à sauver le monde". Il invite à une "conscience modeste du sens et de la fragilité de son engagement".
Je nous invite, nous actrices et acteurs de l'ESS et/ou de mouvement de transitionS à nous imprégner de ces propos sur l'humilité. Des enjeux que j'ai dû moi-même investir pour moi-même dans mes contributions professionnelles et bénévoles, jusqu'au présent billet que j'écris.
Je reviens à ce stade sur mes raisons qui m'ont fait m'intéresser particulièrement à cette vidéo : il se passe rarement une interaction où je n'entrevois pas une situation de surengagement. Un surengagement bien pratique pour le projet, bien pratique pour celles et ceux qui contribuent moins, bien pratique pour l'Etat qui compte sur le secteur de l'ESS pour empoigner des enjeux qu'il délaisse. Un surengagement qu'entretiennent les personnes surengagées du fait de ce que l'on peut considérer comme un déficit d'humilité, selon les termes de MME. Avec par exemple quelques pensées type :
- "Si je ne contribue pas autant que je le fais, personne ne le fera"
- "Je ne peux pas lui déléguer cette tâche. J'irai plus vite à le faire plutôt qu'à expliquer comment le faire" (tout en regrettant que d'autres personnes ne s'engagent pas plus)
- "Ca va être encore à moi à faire le compte-rendu de réunion"
Un manque d'humilité qui entretient une concentration des rôles sur peu de personnes (voire une seule) qui peut finir par poser des problèmes de concentration des prises de décision, même si les personnes concernées ne sont pas dans une logique de prise de pouvoir. Des écosystèmes où beaucoup de membres se retrouvent - quelques fois dans la plainte - infantilisés, passifs, consommatrices·teurs, déresponsabilisés, ...
Au bout du compte une dynamique loin du gagnant-gagnant et du contributif/participatif. Une dynamique qui ne fait pas écosystème bienveillant sur les 4 dimensions évoquées précédemment.
Pour sortir de ce type de fonctionnement insatisfaisant et faisant porter des risques sur la santé, la conscientisation de cette acception de l'humilité me semble un bon point de départ pour une transformation/transition/cheminement individuelle et collective.
Une conscientisation par la personne et par les autres personnes du collectif. Selon les collectifs, ce peut être la personne ou le petit noyau surengagé qui tire la sonnette d'alarme. Une action de signalement utilisant l'affirmation de soi bienveillante (assertivité) mettant en évidence une tension dont le collectif va devoir accepter de voir (vs le déni), d'analyser et de résoudre collectivement par bienveillance pour l'émetteur de la tension et pour le projet.
Avec la culture de l'urgence, il faut quelques fois poser le crayon, taper du poing sur la table pour créer un espace et du temps de réflexivité, de prise de recul pour évoluer vraiment (et pas pour revenir dans les mêmes façons de faire une fois le temps de réflexivité terminé).
Le mot "humilité" (ainsi que son cousin "modestie") est souvent connoté négativement dans le sens où il serait antagoniste avec les idées d'ambition et d'exigence. En réalité, il me semble que le bon équilibre bienveillant articule l'humilité et lucidité d'une part, et détermination d'autre part. Une articulation qui vise à équilibrer sans relâche les enjeux et ambitions avec les moyens (dont les moyens humains). Avec deux mécanismes de régulation en cas de déséquilibre mettant dans le rouge qui peuvent se combiner :
- réduire les enjeux
- augmenter les moyens
Et quand il n'est pas possible d'augmenter les moyens immédiatement, il faut savoir réduire les enjeux court terme immédiatement, faute d'accepter un surrégime qui risque de s'installer durablement. On retrouve ici des enjeux du monde du travail et de Qualité de Vie au Travail que j'ai régulièrement évoqués sur laqvt.fr
Un enjeu essentiel dans les spirales qui conduisent une personne à l'épuisement : sortir de l'impuissance solitaire et rechercher les voies d'une puissance coopérative, ce qui nécessite de la bienveillance individuellement et collectivement.
Articles de ce blog et de laqvt.fr reliés au sujet :
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