lundi 15 mars 2021

Coopération ouverte et 4 dimensions de bienveillance - Chronique sur la Bienveillance - Episode 23

 


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Voici le 23ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.

Cette chronique fait écho à l'article Partage sincère, "tragédie du LSD", fonctionnement en archipel : dialogue autour de la coopération ouverte avec Laurent Marseault", un dialogue fécond entre Laurent Marseault et Michel Briand publié le 12 mars dernier.

La coopération ouverte vise à faire intercoopérer les collectifs autour de l'idée de partage sincère. Elle concrétise un sentiment d'appartenance à quelque chose de plus grand que le collectif lui-même. Ce quelque chose commun où l'on cherche à développer et co-cultiver des communs.


Selon leurs propos, la tragédie du LSD (Libre Solidaire Durable) "c’est le constat que le silo des Libristes, celui des Solidaristes et celui des Durabilistes ont tendance à travailler les uns à côté des autres, parce que chacun a son histoire, son vocabulaire, sa culture. Et en côtoyant une diversité de structures on voyait que le problème d’un silo était résolu dans le silo d’à côté".

En découle un enjeu "Si on arrivait à établir un peu plus de lien, de porosité entre ces silos, il serait possible que cela permette à la fois à ces silos d’avancer mais surtout de passer à l’échelle au delà de leur propre cercle. Les sujets auxquels nous sommes confrontés, sont trop vaste pour que nous les traitions seuls".

Laurent Marseault et Michel Briand consacrent la fin de leur article à la présentation de la notion d'archipel (inspirée de la pensée du poète et philosophe Edouard Glissant) à laquelle je m'intéresse depuis quelques semaines et que j'ai croisée avec ma modélisation d'une Société et de Territoires de la Bienveillance, en particulier avec la modélisation en 4 dimensions indissociables et réplicables. (cf diaporama au format pdf)

Conjuguer des enjeux de coopération ouverte et de bien-être des individus

Ma vision de la bienveillance investit l'attention et le soin envers tout à la fois les êtres humains, les collectifs, communautés, les autres qu'humains, les écosystèmes.
Je conçois la coopération ouverte entre collectifs/communautés en relation avec la culture du bien-être des individus qui sont dans ces collectifs/communautés.

Je vais m'appuyer sur les 4 dimensions du schéma suivant pour entrecroiser ces enjeux qui méritent d'être coinvestis dans les intentions, les décisions, les actions et l'évaluation des actions réalisées :



Je vais m'intéresser essentiellement ci-dessous à la coopération ouverte entre acteurs de transitionS (mettre transition au pluriel avec un "S" majuscule mettant en évidence l'enjeu de faire coopérer des acteurs sur des champs très au pluriel, et pas seulement les classiques trios écologique/social/économique ou écologique/social/démocratique).

Besoin de singularité

Commençons par la dimension "Moi Je". 



Cette dimension est souvent très prégnante au niveau collectif qui, lorsqu'elle est surinvestie, surjouée au détriment des autres, fait des organisations fermées sur elles-mêmes, à la recherche de leur propre intérêt, considérant les acteurs sur le même champ comme des concurrents (voire à considérer les autres acteurs du territoire de champ différent aussi comme des concurrents sur le plan de la recherche de subventions). Au niveau individuel, la dimension "Moi Je" trop présente fait l'égoïsme, l'égocentrisme, le sentiment de n'avoir besoin de personne, le sentiment exacerbé de liberté façon "après moi le déluge", ... 
A l'inverse, la dimension "Moi Je" sous-investie individuellement fait l'oubli de soi et fait prendre le risque d'épuisement (burnout), d'autant plus si le collectif/communauté n'a pas investi la bienveillance envers ses membres (autre dimension "Vous en Moi" au niveau du collectif, sur laquelle je vais revenir).

La conscience de faire partie de plus grand que soi et de l'interdépendance

La coopération ouverte se nourrit de la conscience de faire partie d'écosystèmes et de la compréhension de différents niveaux d'interdépendance, jusqu'au niveau le plus macro : notre appartenance à la planète et les impacts de nos comportements individuels et collectifs sur la vie de la planète.
Dans ma modélisation, il s'agit de la dimension "Moi dans des Nous". 



Dans une organisation archipélique, l'organisation vue comme une "île" appartient à un "Nous"  : l' "archipel". Avec une caractéristique importante dans la relation entre "île" et "archipel" : elle n'est pas hiérarchique, sans logique de pouvoir entre l'une et l'autre.

Une bonne conscience de l'appartenance et de l'interdépendance fait comprendre l'existence d'un cercle vertueux gagnant-gagnant entre "Moi dans des Nous" et "Moi Je" : aborder de manière équilibrée ces deux enjeux de bienveillance est profitable durablement pour soi (individu ou collectif/communauté) et pour les écosystèmes d'appartenance. 
Par contre, quand on recherche le profit et l'intérêt court terme, en dépensant le moins d'énergie possible, le "Moi Je" prend le pas, et souvent avec des résultats contre-productifs.

Le fait de se sentir dépositaire d'une responsabilité commune de bienveillance envers un écosystème, fait voir les autres parties prenantes comme des camarades d'un jeu coopératif. Des camarades de jeu qui sont précieux et sans lesquels, non seulement on ne peut pas jouer, mais on ne peut assurer une pleine vitalité de l'écosystème et de ses composantes. Des camarades qui peuvent devenir des ami·es voire des frères/soeurs.

Parité, altérité, fraternité, solidarité, équité, attention réciproque

La conscience de faire partie de plus grand que soi et de l'interdépendance est indissociable des relations qui se jouent entre parties prenantes dans la coopération ouverte. En reprenant un vocable archipélique, il s'agit des relations entre îles, entre individus, entre pirogues, entre pirogue et voilier, entre voilier et îles, entre archipels, ...
Il s'agit de la dimension "Toi et moi" de ma modélisation, avec 3 types de relation : entre individus, entre collectifs/communautés et entre individu et collectif (du moment qu'il n'y a pas de relation d'appartenance, auquel cas, ce sont les dimensions "Vous en moi" et "Moi dans des Nous" qui se jouent).



On peut analyser les relations entre collectifs en se basant sur une échelle de bienveillance avec 3 segments :
  • bienveillance
  • absence de bienveillance
  • malveillance


S'il est assez courant de voir des collectifs/communautés se comporter les uns envers les autres, ou se positionner en exacerbant les différences (notamment du fait de positionnements différents : "faire contre" le système, "faire avec" - le faire bouger de l'intérieur -, "faire à côté"), avec quelques fois des comportements malveillants, ma conviction est que le déficit de coopération ouverte est beaucoup due à un déficit de temps et de conscientisation de l'appartenance à des "Nous". Comme je l'ai écrit dans le schéma, "On n'a pas le temps" est le message explicite ou sous-tendue dans beaucoup de cas. Laurent Marseault et Michel Briand le mentionnent clairement dans leur article : faire coopération ouverte nécessite de se donner du temps pour partager. Il n'y a pas forcément un manque de volonté de coopérer, mais un manque de temps et aussi un manque de recul qui permet de comprendre en quoi la coopération ouverte serait gagnant-gagnant pour le collectif, l'écosystème, les autres collectifs et les individus qui les composent sous condition qu'on investisse les différentes dimensions de responsabilité de bienveillance évoquées ici.

Au niveau des relations interpersonnelles, je constate que les collectifs ont tendance à sous-investir la qualité des relations entre les personnes. Avec l'arrivée des moyens de communication numériques, et déjà il y a quelques années avec les outils de messagerie électronique, les conflits se sont largement répandus avec des comportements agressifs plus nombreux et plus intenses dus à l'écrit (asynchronicité et distance débridant la retenue) et à une tendance forte à rendre publics les conflits. Ils sont amplifiés avec les réseaux sociaux notamment parce que l'anonymat permet de se lâcher sans retenue.
Un autre phénomène que j'attribue notamment à un déficit de reconnaissance, voit s'exprimer les points de vue inutilement antagonistes (cf mon article précédent : Point sur les I sur les points de vue - Chronique sur la Bienveillance - Episode 22).

Pour construire une relation de résonance (je reprends le terme d'Hartmut Rosa auteur du livre du même nom), il est important de se donner du temps et de l'attention à ce que vit l'autre, ses perceptions, son état de santé, ses aspirations et attentes. Ce que j'ai modélisé en 2017 pour la sphère professionnelle et par rapport à l'enjeu de Qualité de Vie au Travail (QVT) sous l'appellation Attention Réciproque.

La bienveillance prenant tout son sens en décomposant le mot en 2 : "Veillance" pour l'attention portée à l'autre (individu ou collectif) et la prise en compte du "Bien" de l'autre dans les décisions et les actions. Deux dynamiques qui nécessitent incontestablement de se donner du temps individuellement et collectivement, et de sortir des modes "urgence" et "pragmatisme" (qui flirte en réalité souvent avec cynisme).




En prenant conscience que l'on ne porte attention à autrui que si on s'est donné le temps de créer suffisamment de proximité. Mais attention, la proximité ne fait pas forcément la bienveillance : malheureusement, on peut souvent constater que la proximité crée de la familiarité dont certains abusent pour s'autoriser à rabrouer, à mal se parler (un paradoxe que l'on retrouve au niveau des couples au bout d'un certain temps de cohabitation).

La responsabilité du collectif vis-à-vis de ses membres

Les collectifs de travail ont une obligation de préservation de sécurité et de préservation de la santé physique, psychique et sociale des salariés. C'est une obligation du dirigeant mettant en jeu sa responsabilité pénale. Cet enjeu de bienveillance met en jeu la dimension "Vous en moi".

Force est de constater que le secteur de l'Economie Sociale et Solidaire fait à peine mieux que la moyenne nationale rapportée par l'Anact en matière de Qualité de Vie au Travail, avec un sentiment de dégradation (cf articles sur la QVT dans l'ESS sur laqvt.fr). Quant aux bénévoles, ils ne sont pas vraiment considérés dans ces enjeux

Dans les collectifs non institutionnalisés (par exemple, les pirogues et voiliers dans le vocable archipélique), la qualité de vie et la bienveillance envers les individus du collectif restent très souvent impensés (ce qui ne veut pas dire forcément que le niveau est automatiquement insuffisant). D'autant plus pour les collectifs qui ne se réunissent et travaillent qu'épisodiquement : l'absence de telle ou telle personne est rarement vécue comme un signal faible ou fort d'un problème de santé ou d'engagement puisque la variabilité des disponibilités fait partie de la règle du jeu explicite.

La santé de l'individu étant en grosse partie dépendante de cette dimension du "Vous en moi" :
  • au niveau de collectif : la responsabilité envers la préservation de la santé des individus du collectif
  • au niveau de l'individu : la prise en compte de sa propre santé, de ses propres organes
Il y a aussi un autre enjeu pour que le "Nous" ne noie pas le "Moi Je" : il faut que le collectif valorise la singularité de chacun, prenne en compte la raison d'être de chacun, les talents, les envies, les disponibilités, l'état de santé. Il doit intégrer l'individu dans les prises de décisions, reconnaître et valoriser la part que chacun apporte en terme de savoir, de savoir-faire, de savoir-être, de résultat, d'énergie dépensée, d'actes altruistes, ... Et plus globalement, il doit investir les deux dynamiques de "Veillance" et de "Bien" évoquées précédemment.

Coopération ouverte et Société et Territoires de la Bienveillance

Je vois une double relation entre coopération ouverte et bienveillance :
  • j'ai du mal à appréhender que l'on puisse réellement concrétiser une coopération ouverte pleine, vivante, efficace, ... sans investir la bienveillance dans les 4 dimensions que j'ai présentées, et aux différentes strates individuelle et collectives ;
  • la mise en place d'une Société et de Territoires de la Bienveillance passe selon moi par de la coopération ouverte dans une approche gagnant-gagnant. Une coopération qui fait une belle place à la confiance, l'altruisme, l'appréciation, la gratitude, la curiosité, l'exploration, le droit au tâtonnement et à l'erreur, à la joie de vivre ...
Un esprit bienveillant, coopératif dans une approche gagnant-gagnant se jouant entre collectifs, entre communautés, entre individus, entre humains et autres qu'humains. Où chacun peut aligner son "identité-racineS" (il me semblerait pertinent de mettre un pluriel) et ses "identités-relation" pour se sentir unifié.

Une coopération ouverte dans laquelle le "quoi" a sa juste place à côté du "pourquoi" et du "comment", les trois alignés autour de la bienveillance. De la bienveillance dans la raison d'être individuelle, dans les raisons d'être collectives et dans les pratiques.



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