lundi 3 janvier 2022

Trop bienveillant ? - Chronique sur la Bienveillance - Episode 38

 

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Voici le 38ème épisode - et le 1er de 2022 - de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
Cette chronique m'a été inspirée par un ensemble de réflexions que j'ai pu entendre sur la bienveillance qui portent selon moi à confusion et peuvent la rendre inopérante ou inaudible.

La bienveillance n'est pas une courbe en cloche

Dans ma 29ème chronique intitulée Des sacrifices bienveillants qui nous libèrent, j'ai présenté une courbe en cloche concernant nos besoins essentiels (notamment matériels). La voici :




Cette courbe symbolise un principe inscrit sur le fronton du Temple de Delphes "Rien de trop !" (à côté du non moins fameux "Connais-toi toi-même !") et un peu moins éloigné de nous le "Le mieux est l'ennemi du bien" de Voltaire dans son conte moral La bégueule.

Et donc pour les besoins essentiels, au-delà d'un seuil ("Sam va bien"), toute recherche d'amélioration ("Monsieur Plus") est contre-productive. Par contre, en-dessous d'un seuil plancher, toute amélioration fait du bien. Et en passant, on comprend en quoi il peut être inaudible, voire urticant d'entendre parler de "sobriété heureuse" quand on a du mal à finir les fins de mois, bien qu'en se limitant et en se privant de choses essentielles.

Alors, en serait-il de même avec la bienveillance, à savoir qu'au-delà d'un certain niveau de bienveillance, elle serait contre-productive, elle serait "trop", "too much" ? Et donc qu'en terme de dynamique d'amélioration, il faudrait mettre plus de bienveillance là où il n'y en a pas assez et en mettre moins là où il y en aurait trop ?

Ma conviction est qu'on peut toujours progresser en matière de bienveillance (et donc évidemment quand il y a malveillance ou absence de bienveillance) et qu'elle n'a pas de limite. Mais encore faut-il qu'on s'entende sur ce qu'est la bienveillance. Et je vais m'appuyer sur ma modélisation et essayer de montrer que chaque fois que l'on évoque un soi-disant "trop de bienveillance", en réalité on n'est pas dans une bienveillance équilibrée.

5 confusions possible d'un trop de bienveillance

Je vais évoquer successivement 5 cas de figure
  • Le monde des bisounours
  • Trop gentil, trop con
  • Oubli de soi
  • Trop faire plaisir
  • Complaisance

Le monde des bisounours

Le premier "trop" que je saisis ici fait référence aux personnes qui délégitiment globalement la bienveillance sous prétexte qu'elle serait "trop" en soi ; elle serait hors sol, une vue de l'esprit de quelques idéalistes vivant sur une planète qui n'existe pas.
Pour elles, la vie ne fait pas de cadeau et on ne se fait pas de cadeau dans la vie. Chacun pour soi, chacun sa merde.
A ces personnes, on peut donner de nombreux exemples de bienveillance dont elles profitent elles aussi au quotidien. A l'instar des espaces naturels dans lesquels règnent effectivement et sans conteste la compétition, la sélection et la loi de la jungle, règnent tout autant la coopération et l'entraide. Ce sont deux vérités qui cohabitent indéniablement, et chacune et chacun peut le constater dans sa vie, y compris sur la facette bienveillante. Ce qui nécessite de sortir d'une vision pessimiste et/ou cynique de la vie.
Il s'agit en réalité de sortir d'une contre-vérité : délégitimer la bienveillance est bien là une vision hors sol et pas le contraire. Nier la bienveillance, c'est nier la moitié de la réalité de la vie. En cela, cette contre-vérité se rapproche de celle évoquée par Aurélien Barrau dans son livre Le plus grand défi de l'humanité "Les doux rêveurs ne sont pas les écologistes, mais ceux qui pensent pouvoir défier les lois fondamentales de la nature". Ici avec la bienveillance, une loi fondamentale est celle de l'interdépendance. Qui nie l'existence de la bienveillance, ni la réalité de l'interdépendance dans laquelle se trouve toujours une part, même minime, d'altruisme, d'attention, de volonté de bien faire, même si l'interdépendance prend la forme d'un échange commercial.

Trop gentil, trop con

Une deuxième confusion est symbolisée par l'expression "Trop gentil, trop con" ou "trop gentille, trop conne". Elle est souvent employée en tant que trait d'amertume après une déception d'un manque de réciprocité : "J'ai été bienveillant(e) avec toi et tu ne me le rends pas", voire "Tu m'as trahi" ou "Tu as trahi ma confiance". Et il est alors important de démêler les fils entre ce qui ressort de la bienveillance, de la confiance, de la gentillesse.
Revenons à deux grandes dimensions de la bienveillance :

  • porter attention
  • faire du bien.
Ma conviction est qu'il ne faut pas regretter l'attention que l'on a portée ni le bien qu'on a fait. Par contre, il est important de réguler l'énergie que l'on déploie sur ces deux dynamiques : il ne faut pas s'y perdre et il ne faut pas non plus que cette énergie soit contre-productive.
Ce qui va m'amener aux deux confusions suivantes : l'oubli de soi et plaisir/bien.

Oubli de soi

Je m'appuie ici sur les 4 dimensions indissociables de la bienveillance :


Si l'on est particulièrement bienveillant avec une personne - "Toi et Moi" - ou/et avec un écosystème dans lequel on s'investit beaucoup  - "Moi dans des Nous" - (famille, travail, association, ...) mais qu'on ne prend pas soin de soi - "Vous en moi" - (santé, hygiène de vie) et - "Moi je" - (ses propres besoins, aspirations, plaisirs, ...) alors, ce n'est pas qu'on est trop bienveillant avec autrui ou avec l'écosystème, mais qu'on n'est pas équilibré dans sa bienveillance et qu'on n'a pas géré de manière indissociable les 4 dimensions.
Donc l'oubli de soi n'est pas un trop de bienveillance, mais plutôt en quelque sorte un pas assez de bienveillance sur une ou deux dimensions sous-investies. Et en cela, on rejoint l'idée selon laquelle on ne peut pas être bienveillant sur la durée envers autrui si on n'est pas suffisamment bienveillant envers soi-même. Ce qui relève aussi du bon sens.

A noter que cela relève non seulement de notre propre responsabilité envers nous-mêmes ("Je dois prendre soin de moi"), mais aussi des individus et des collectifs de ne pas accepter un sur-engagement qui mettrait en difficulté la personne qui s'engage ("Je dois/nous devons prêter attention à ce qu'elle prenne soin d'elle-même et je dois/nous devons prendre soin d'elle").

Trop faire plaisir

En particulier dans l'éducation des enfants, on peut avoir tendance à penser que plus on cherche à leur faire plaisir plus on s'en mord les doigts. Et il suffit de regarder autour de nous pour s'en convaincre. 
Mais il ne faut pas confondre et en tirer comme conclusion qu'une trop grande bienveillance (voire la bienveillance tout court) envers les enfants serait à remettre en cause.

En effet, ce raccourci n'a pas lieu d'être car il relèverait d'une confusion dramatique entre "faire plaisir" et "faire du bien". Deux conceptions de l'éducation qui n'ont absolument rien à voir l'une avec l'autre. Et ce qui complique la chose, c'est que sont deux objectifs qui peuvent se combiner : ce n'est pas parce qu'on est bienveillant qu'on ne peut pas faire aussi plaisir quand c'est possible.

Je renvoie à l'article Attention, plaisir - Le dessous des cartes : tu vas halluciner ! que j'ai consacré à cette confusion. 

Si on distingue bien les deux, on comprend alors que la bienveillance ne souffre pas de limite supérieure alors, qu'en effet, la fuite en avant du "faire plaisir" est contre-productive et même carrément perdant-perdant. C'est notamment le cas pour les relations parent-enfant, et pour soi-même quand on centre sa vie sur son propre plaisir dans une fuite en avant auto-destructrice et destructrice.

Complaisance

Une des critiques que l'on fait à la bienveillance, c'est qu'on ne pourrait plus dire les choses qui fâchent, qu'on ne pourrait plus exprimer de critique constructive, qu'on ne pourrait plus avoir d'avis différent, qu'il faudrait dire oui à tout, ... C'est typiquement une critique que j'entends dans le monde du travail quand on évoque le mot "bienveillance" qui serait synonyme d'anarchie généralisée.

Ma vision est à l'opposé de ces critiques qui font rimer bienveillance avec complaisance. Elle est à l'opposé car ma conviction que la bienveillance est éminemment exigeante quand on a décidé de l'investir avec détermination. Et plus on avance, et plus on s'aperçoit qu'on a du chemin à faire. Un chemin qui rime avec responsabilité, humilité, tâtonnements et ... exigence et patience. 

Donc non, la bienveillance ne rime pas avec complaisance mais avec exigence. Au contraire la malveillance et l'absence de bienveillance riment avec facilité.


L'échelle de bienveillance

Donc si la bienveillance ne mérite pas d'être représentée sous forme d'une courbe en cloche où il y aurait un trop de bienveillance dont certains devraient se départir, alors quelle courbe conviendrait mieux ?

Je m'appuie sur mon échelle de la bienveillance en trois segments dont j'ai parlé à plusieurs reprises dans mes chroniques sur la bienveillance :




Cette échelle met en évidence trois segments :
  • la malveillance, avec des nuances, notamment celles faisant la différence entre l'intentionnel et le non intentionnel
  • l'absence de bienveillance, souvent liée à une course effrénée au temps et au diktat de l'urgence ; ma conviction étant que notre société souffre plus d'absence de bienveillance que de malveillance intentionnelle
  • la bienveillance qui traverse plusieurs verbes au sein d'un processus :

Selon moi, il n'y a pas lieu de considérer un plafond de la bienveillance et encore moins d'un plafond au-delà duquel la bienveillance serait contre productive.

Notre planète, les générations futures, nos écosystèmes, nos proches, nous-mêmes méritons une plus grande bienveillance équilibrée sur les 4 dimensions évoquées précédemment et je suis convaincu que nous sommes très loin d'avoir à commencer à nous demander si nous le serions trop.

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