dimanche 16 mai 2021

Des sacrifices bienveillants qui nous libèrent - Chronique sur la Bienveillance - Episode 29

 


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Voici le 29ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.

J'y croise un enjeu que j'évoque très souvent depuis 2017 "rien de trop" (notamment sur ce blog dans les articles Tout de trop et Les trop qui tuent) avec celui de sacrifice évoqué par Sébastien Bohler dans son livre Où est le sens ?. Inspiré par la lecture de ce livre, j'ai déjà évoqué la question du sacrifice dans l'article Question de sacrifices - Chronique sur la Bienveillance - Episode 5.

Je croise donc ces deux enjeux pour mettre en évidence l'intérêt d'aborder des sacrifices par un biais qui pourrait sembler paradoxal : des sacrifices qui libèrent, alors qu'on associe facilement sacrifice avec frustration de sa propre liberté.


L'effet de témoin comme point de départ

Connaissez-vous "l'effet de témoin" ? Si le terme ne vous dit peut-être rien, en revanche le type de situation qu'il décrypte est malheureusement bien connu.
Il s'agit des situations où une personne appelle à l'aide publiquement, ou alors de situations d'urgence où une action est attendue (voire exigée selon l'obligation d'assistance à personne en danger) par un ou plusieurs témoins présents.
L'effet de témoin explique l'inhibition à l'action qui peut faire que personne n'intervient et laisse la ou les victimes sans aide. Une inhibition causée par la présence d'autres témoins, provoquant une dilution, voire une neutralisation de la responsabilité (puis de la culpabilité). 
Et plus le nombre de témoins est important, plus la dilution est grande. En simplifiant, si vous appelez à l'aide, vous avez tout intérêt à n'avoir qu'un témoin de la situation et pour être encore plus efficace, interpellez-le directement !

Les types de situations dans lesquels l'effet de témoin se joue sont multiples. Je veux ici en considérer deux qui font référence à deux grands enjeux de transition :
  • les situations qui sont causées par les dérives insupportables du patriarcat : féminicide, infanticide, ... toutes les fois où des cris, des appels au secours ne sont pas entendus par les voisins, souvent sous prétexte de ne pas intervenir dans la vie privée d'autrui,
  • les situations où l'on pourrait figurer notre planète en train d'appeler à l'aide parce qu'on crée des déséquilibres, qu'on l'a détruit. Une planète qui appelle la plupart du temps en vain. Ou peut-être est-elle entendue, mais aucune action ne suit, ou alors à un niveau tout à fait insuffisant.
Les deux bonnes nouvelles avec l'effet de témoin, c'est que la connaissance de l'existence de ce phénomène permet de réduire sa force, et que l'interpellation personnelle ("c'est à toi que je m'adresse") montre son efficacité.

Quel est le lien avec l'idée de sacrifice ? Il se trouve que de mon point de vue, répondre à la planète qui appelle à l'aide nécessite que nous fassions toutes et tous des sacrifices, de manière conjuguée. Or l'effet de témoin nous fait penser que ce n'est peut-être pas si urgent que cela puisque les autres personnes autour de nous sont autant inactifs que nous (en fait, on trouve souvent que les autres sont plus inactifs que nous). Bref, il faudrait faire des sacrifices, mais on appelle d'abord les autres à faire des sacrifices avant nous parce qu'ils sont plus responsables/coupables que nous. Quand je dis "autres", ce peut-être nos voisins, mais c'est surtout des cibles bien pratiques car effectivement elles pèsent bien plus lourd que chacun de nous : l'industrie du pétrole, les transports de marchandises, les industries polluantes, ... Sacrifiez-vous d'abord, et on fera notre part après.
Autant dire qu'il n'est pas étonnant que Daniel Kahneman, Prix Nobel, auteur du livre Système 1, Système 2, interrogé par George Marshall pour son livre Le syndrome de l'autruche (que je conseille vivement) déclare face à la possible capacité de l'humanité de se saisir vraiment de l'enjeu écologique :"Les gens ne sont pas prêts à voir baisser leur niveau de vie... Il n'y a pas beaucoup d'espoir. Je suis foncièrement pessimiste".

De mon côté, j'ai une once d'optimisme, et je vais m'en expliquer avec l'idée de sacrifice bienveillant libérateur.

Le mieux, le trop, le plus et l'excellence

Voici un titre de section qui fait presque titre de western. Un western pesant, où les coups pleuvent, la pression monte, les dommages collatéraux se multiplient, les tempêtes de sable obscurcissent l'horizon, les loups ne hurlent plus parce qu'il n'y en a plus (mais, est-ce vraiment une bonne nouvelle ?).

Sur le fronton du Temple de Delphes était inscrit "Rien de trop", ainsi que "Connais-toi toi-même". Deux interpellations qui devraient faire réfléchir, individuellement et collectivement.
Plus proche de nous, dans le début de son conte moral La bégueule, Voltaire a utilisé des mots qui sont restés à la postérité "Le mieux est l'ennemi du bien". S'ils sont bien connus, en revanche, vous pouvez constater comme moi que notre société libérale de consommation est à l'inverse de ce que l'on pourrait poser comme principe de bienveillance, et que j'ai moi-même intégré dans 3x3 + 1 principes pour une Société et des Territoires de la Bienveillance.

Il est temps que je croise l'idée de sacrifice avec ce très inspirant "Le mieux est l'ennemi du bien". Suivez-moi dans cette logique toute simple :

puisque le mieux est l'ennemi du bien, libérons-nous du mieux ennemi du bien pour nous faire du bien. Autrement dit : faisons le sacrifice du mieux en question qui sera libérateur puisqu'il nous permettra de nous contenter (être contents de) du bien.





Sacrifions le mieux, le trop, le plus, l'excellence ... ennemi du bien dans le sens :
  • pourquoi chercher à avoir mieux ou plus ou encore plus alors que ce que l'on a déjà répond à ce dont on a vraiment besoin ?
  • aller trop vite peut conduire à bâcler les choses avec des impacts sur la qualité et nous prive de la fierté du travail bien fait
  • qu'est-ce que cette idée d'excellence qu'on nous sert à toutes les sauces et qui cache souvent la motivation de faire payer les choses, les services, ... plus chers ?
  • rechercher systématiquement les raccourcis et à faire des impasses pour obtenir plus facilement et/ou plus vite des choses nous conduit souvent dans le mur de l'impasse
  • rechercher systématiquement à avoir la cerise le gâteau nous fait souvent oublier d'apprécier le gâteau
  • ne pas nous laisser mener par le bout du nez par notre striatum et par ses dérives :



J'ajoute à ce stade une précision : je vise spécifiquement ici le mieux ennemi du bien et non le mieux ami du bien, notamment celui qui permet de grandir, bienveillant dans les 4 dimensions que j'ai modélisées. Il ne s'agit pas d'un appel à la médiocrité, la complaisance, l'autosatisfaction.

Probablement faudra-t-il aussi des sacrifices qui réduiront le bien (bien-vivre, bien-être, ...) mais ma conviction est que les sacrifices du mieux, du trop ... pour faire du bien pourraient déjà constituer une réponse significative aux enjeux d'aujourd'hui et de demain, et notamment par rapport aux sujets environnementaux et de santé physique, psychique et social.

Moi, inspiré par toi, nous

Le sacrifice libérateur mérite d'être d'abord investi à la première personne du singulier : de quoi puis-je me libérer dans ma façon de consommer, de remplir mon emploi du temps, d'exiger de moi-même et des autres, ... ?

Les autres, justement, il faut que je les vois non pas comme ceux qui ne font pas ce qu'ils devraient faire ou qui font ce qu'ils ne devraient pas faire. Il ne faut pas que j'utilise comme prétexte à ma non-action, la non-action des autres. Au contraire, je peux m'inspirer de toutes les personnes qui font des sacrifices libérateurs, de leurs façons de faire. Peut-être accepteront-ils de témoigner, de me soutenir, de m'aider.

Et puis il y a la force du collectif : il y a des sacrifices qui sont plus faciles à réaliser à plusieurs. Ne serait-ce qu'en se stimulant mutuellement, avec bienveillance bien sûr. En l'occurrence, la bienveillance signifie que le sacrifice est un cheminement, probablement avec des tâtonnements, des pas en avant, des pas en arrière, des obstacles, les erreurs inévitables d'une expérimentation, ... Autant d'aléas qui sont considérés avec indulgence, confiance et soutien. Le collectif, c'est aussi pour entreprendre des sacrifices qui ne sont pas à la portée individuelle.

Sacrifice, appréciation, contentement et gratitude

Le type de sacrifice que j'évoque dans cet article étant libérateur, il est important d'en apprécier les fruits, à la fois pour soi, et aussi pour la planète et plus globalement les effets gagnant-gagnant et contagieux. Une appréciation qui conduit à un contentement de soi-même, mais pas seulement nombriliste : de tels sacrifices sont souvent facilités par autrui, et il est important pour soi et pour autrui de faire vivre la gratitude. La gratitude est déjà une émotion positive pour soi, puis source potentielle d'émotion positive pour qui recevra l'expression de la gratitude. 

Je vous renvoie au processus de gratitude que j'ai modélisé et présenté sur ce blog : 




Des sacrifices par rapport au patriarcat

J'ai évoqué en début d'article le patriarcat. Je fais partie de celles et ceux qui appellent à déboulonner le patriarcat et à le mettre en pratique dans leur propre vie. Pour un être humain masculin, il s'agit, au-delà d'un élan de justice et de rééquilibrage, d'une forme de sacrifice : le sacrifice d'un certain nombre d'avantages qui ont été octroyés injustement depuis de nombreuses générations aux individus masculins.

Un rééquilibrage qui empiète un peu sur le repos (plus ou moins mérité) du guerrier, pour soulager (et pas comme une aide ponctuelle et généreuse) la surcharge de sa compagne.

Il s'agit aussi pour le patriarcat de considérer les situations qui relèvent du mieux ennemi du bien pour envisager d'autant plus facilement les sacrifices qui sont libérateurs.

Au premier juillet 2021, le congé paternité passera à 28 jours. Une façon de considérer que le rééquilibrage se fait aussi avec des bénéfices pour les pères. Je note en passant une articulation intéressante entre droits et devoirs : les pères vont bénéficier de 14 jours supplémentaires (un droit) et en même temps, ils devront prendre obligatoirement 7 jours (un devoir). Une obligation qui peut être entendue à la fois pour l'employeur et pour l'employé (ou d'une certaine façon comme un devoir de l'employé qui en réalité est aussi un droit).

Des sacrifices lourds de sens, avec légèreté

Sébastien Bohler délivre un message d'espoir dans la dernière partie de son livre sur le sens, que l'on peut croiser avec un autre message d'espoir dans son livre précédent Le bug humain : cultivons l'idée de sacrifice, et notamment en saisissant le fil que je propose ici, car elle pourrait constituer le ciment d'une société plus bienveillante. Le sacrifice d'une partie excessive de l'intérêt personnel, au profit du bien commun, mérite d'être consacré comme norme sociale qui satisfera deux parties de notre cerveau : le striatum et le cortex cingulaire antérieur.

Sacrifions le mieux pour nous faire du bien ; une façon d'aborder de nombreux sacrifices potentiels à notre portée, avec légèreté.

Des sacrifices avec une finalité gagnant-gagnant

Puisque les sacrifices que j'évoque dans cet article vise des "mieux" contre-productifs, la contre-productivité peut concerner non seulement la personne ou le collectif qui cherche le mieux, mais peut aussi avoir des dommages collatéraux sur d'autres parties prenantes, et notamment sur la planète. Par exemple, l'addiction aux achats dégrade le bien-être, et aussi amplifie l'empreinte sur la planète.
On peut aborder les sacrifices bienveillants libérateurs dans une approche gagnant-gagnant : en sacrifiant un mieux, je me fais du bien et je peux m'assurer aussi d'effets positifs autour de moi. 

On peut aussi étendre les sacrifices aux mieux qui ne produisent pas d'effets positifs pour soi, mais qui sont perdants pour des parties prenantes tout en n'étant pas gagnants pour les autres. Ce qui fait nous intéresser donc aux mieux qui sont contre-productifs pour soi, et les mieux qui sont neutres pour soi, mais négatifs pour autrui, pour la planète. On distingue ainsi une contre-productivité à l'échelle personnelle et à une échelle de l'écosystème ou des écosystèmes impactés par la recherche du mieux.





Sacrifions le mieux dans une approche gagnant-gagnant.

Un guide pour mettre en pratique des sacrifices bienveillants libérateurs

Voici la première édition d'un petit guide que j'ai élaboré dans le cadre de la publication de cet article.
Il constitue une aide pour passer à l'action si cet article vous a interpellé et vous a donné envie d'expérimenter cette idée de sacrifice bienveillant libérateur.


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