dimanche 26 mai 2019

Une fausse piste pour le bonheur : accumuler des ressources et des options


Je vous propose aujourd'hui de croiser les regards d'Hartmut Rosa, sociologue et philosophe allemand, de Barry Schwartz, psychologue américain et des enseignements de la psychologie positive.

Mon point de départ est l'extrait suivant du livre "Résonance - une sociologie de la relation au monde" d'Hartmut Rosa :

"La qualité de la vie ne se mesure pas simplement aux ressources dont nous disposons et aux options qui s'offrent à nous, mais ne peut s'apprécier au contraire que par l'étude du type de relation au monde qui gouverne cette vie.
L'idée selon laquelle la multiplication des ressources et des options est gage en soi d'amélioration de la qualité de vie est trompeuse ; 
tout porte plutôt à croire que cette logique d'accroissement, dotée d'une dynamique propre et trouvant sa fin en elle-même grève de plus en plus notre rapport au monde - et qu'elle est déjà elle-même l'expression et l'émanation d'un rapport problématique au monde." (page 36)
Hartmut Rosa est connu depuis quelques années pour ses travaux sur le phénomène d'accélération connu par les sociétés modernes.

Barry Schwartz dans son livre "Le paradoxe du choix" met en évidence que la multiplication des choix crée de l'indécision, de la souffrance, du déni, ... bref est contre-productive par rapport à l'idée de création de bien-être.

La psychologie positive, notamment à travers l'étude du principe d'adaptation hédonique (cf mon article Impacts de l’adaptation hédonique sur le bonheur et la QVT), a montré qu'au-delà d'un certain seuil de ressources, le bonheur n'est plus impacté positivement et que la répétition des acquisitions de ressources ne produit chaque fois qu'une satisfaction éphémère, y compris pour les événements les plus marquants.

Le mot "ressources" renvoie bien entendu aux dimensions matérielle et financière. Il faut y voir aussi la santé, les capacités intellectuelles, relationnelles, psychologiques, ...

Et pour qui se trouve dans une démarche continue de développement personnel, il faut aussi voir dans l'écrit ci-dessus de Hartmut Rosa une vigilance : faire du développement personnel un processus d'accroissement sans fin qui conditionne le bonheur et le bien-être psychologique à la réussite de l'acquisition de nouvelles capacités psychologiques. Le risque étant que le bonheur soit considéré comme un objectif ultime et peut-être jamais atteint ; alors qu'on peut voir dans les écrits d'Hartmut Rosa et des enseignements de la psychologie positive l'invitation à investir le bonheur vu comme un chemin et l'appréciation et la gratitude du moment présent, des capacités présentes, des ressources présentes, des petits et grands pas réalisés.

Notre raison d'être individuelle pourrait intégrer l'idée d'évolution motivée par l'envie en alternative à la conception que l'on trouve partout dans notre société y compris pour le développement personnel : la norme et le statu quo sont l'évolution sans fin, la croissance vue comme loi incontournable de nos sociétés.
Avec une telle conception alternative, on peut envisager tranquillement selon le sujet, le contexte, les enjeux : le "Ca me va bien comme ça" (constance), le "j'ai envie d'aller plus loin" (croissance), et le "je n'ai pas besoin d'autant" ou "il nous est nécessaire d'avoir moins" (décroissance). La motivation n'étant plus le gain ou l'obligation mais l'envie ET la responsabilité.
Ce que je viens d'énoncer pour la raison d'être individuelle mérite d'être envisagé aussi pour la raison d'être des collectifs et communautés auxquels on appartient.

Hartmut Rosa voit dans notre société d'accroissement la conjugaison de 3 crises :

  • une crise écologique qui signale un dérèglement du rapport entre l'homme et son environnement non humain
  • une crise démocratique qui signale un trouble de la relation au monde social
  • une crise psychologique qui signale une pathologie du rapport subjectif à soi

Cultiver notre relation au monde (nous relier au monde) est une solution que propose Hartmut Rosa(1) à la fois pour faire face à l'accélération dont beaucoup de personnes et de collectifs se plaignent et pour accéder et parcourir au chemin du bonheur (je précise mon propos : "bonheur" étant le nom du chemin pas celui de la destination). Hartmut Rosa utilise le terme de "vie bonne" et de "vie réussie".

On peut faire un parallèle avec l'invitation que fait Otto Scharmer dans la Théorie U : une (re)connexion sur 3 dimensions, entre moi et moi, moi et autrui et moi et la planète.

"J'aime ma vie telle qu'elle est, et elle me parle" telle pourrait être le résumé des quelques idées présentées ci-dessus.

Je redonne la vision du bonheur telle que je l'avais formulée en 2013 dans laquelle j'ajouterais bien la dimension relative à la planète et une 4ème dimension que j'évoquerai prochainement dans des publications rapportant un travail de réflexion et de conceptualisation que j'ai réalisé sur la bienveillance.


(1) Hartmut Rosa se défend d'être le spécialiste de la décélération. Il introduit son livre "Résonance" ainsi : "Si le problème est l'accélération, alors la résonance est peut-être la solution"