lundi 23 septembre 2019

Aligner "pourquoi", "quoi" et "comment", sous le signe de la bienveillance

Ce lundi 23 septembre 2019 pourrait être une date capitale pour la biosphère (ensemble des organismes vivants - dont les êtres humains - et leurs milieux de vie) : les Chefs d'Etat ont été invités instamment par António Guterres, Secrétaire général de l'ONU, à faire des propositions concrètes pour faire face à l'emballement climatique. Une conférence climat est organisée ce jour au siège de l'ONU à New-York. A cette occasion, le GIEC présentera un nouveau rapport sur le sujet du réchauffement climatique.

L'enjeu est de taille : réduire de manière importante l'impact des activités humaines sur le climat. Et pour ce faire, et vu l'urgence, il est nécessaire selon moi que les sociétés et les individus changent de paradigme et organisent leurs pensées, leurs paroles et leurs actes autour de l'idée de bienveillance : nous, êtres humains et autres qu'humains, habitons la même maison ; nous faisons partie d'une même grande famille et il s'agit à la fois de réparer la maison et d'en faire usage de la meilleure façon pour qu'elle ne se désagrège pas à une vitesse incroyablement plus grande que celle des générations précédentes, dans une forme de boulimie autodestructrice, faisant fi des générations futures et même des générations présentes. Autre enjeu : qu'elle n'extermine pas une partie de ces habitants.

Je vous propose le schéma suivant (1) pour introduire 4 axes de bienveillance (modèle de ma conception dit "bienveillance à 360°") :


Il s'agit donc d'exercer une bienveillance de manière conjuguée et indissociable vis-à-vis
  • de soi-même, 
  • de la nature, 
  • d'autrui 
  • et des collectifs et communautés auxquels on appartient. 
Bienveillance à comprendre au sens BienVeillance, à savoir veiller au bien, dans les intentions, dans les décisions et aussi dans les actes. La bienveillance ne peut être sans acte.

Une telle bienveillance appelle à une juste conscience sur 3 dimensions :
  • la réalité de la situation de la planète et de nos sociétés, sans déni ; en écoutant les scientifiques qui rapportent leurs observations, y compris avant qu'elles ne fassent consensus au sein d'organismes comme le GIEC (ce qui prend du temps), en faisant vivre judicieusement le principe de précaution, d'autant plus quand cela n'impacte que notre confort et notre frénésie consommatrice ;
  • les impacts de nos comportements, en sachant interroger tous nos comportements, les plus banals (allumer une lampe, acheter des oignons qui viennent de Nouvelle Zélande, ...), ceux qui vont dans le sens de la facilité, voire de la fainéantise (motorisation des volets, portails, prendre sa voiture pour quelques centaines de mètres, ...), ceux qui relèvent d'une recherche de la meilleure affaire possible ou du moins cher, ceux de l'accumulation de gadgets, ... ;
  • nos responsabilités individuelle et collectives : celle de peser sur les autorités pour faire bouger les politiques publiques et celle de jouer nos rôles (chacun de nous en a plusieurs) dans les différentes sphères de vie, en veillant à la bien-portance des écosystèmes selon les 4 axes présentés précédemment.
Un changement de paradigme qui doit nous aider à un diagnostic des activités humaines, y compris donc nos propres comportements et à la coconstruction d'un nouveau rapport de l'être humain avec la nature et avec ses semblables. On peut le faire autour de 3 questions fondamentales :
  • Pourquoi on fait les choses (pourquoi voudrait-on les faire) ?
  • Que fait-on (que voulons-nous faire) ?
  • Comment fait-on les choses (comment voudrait-on les faire) ?
J'attire l'attention sur le "comment" : je constate que bien des projets "vertueux" sur le "pourquoi" et le "quoi" font l'impasse sur le questionnement du "comment" et reproduisent exactement les mêmes façons de faire que les modèles archaïques et/ou vicieux dont ils seraient des alternatives. Dit autrement, on veut fabriquer le paradis en utilisant des façons de faire délétères. 

Quand je dis "délétère", je veux en distinguer deux types, ce qui me permettra de présenter la 2ème caractéristique principale du modèle de bienveillance 360 : 
  • la malveillance : tension, agressivité voire violence (physique ou/et psychologique), gestes obscènes, ...
  • l'absence de bienveillance : souvent due au manque de temps, à un sentiment d'urgence ou à une prégnance du projet par rapport à l'individu; l'absence de bienveillance se traduit par un déficit de reconnaissance, de convivialité, de feedback (rétroaction), de soutien en cas de difficulté, de considération ; en quelque sorte, l'individu avec ses aspirations et ses attentes, se sent oublié, voire inexistant
Autrement dit : la bienveillance n'est pas une valeur binaire dont l'antivaleur serait la malveillance. En réalité, nos écosystèmes et nos sociétés souffrent à la fois de malveillance et à la fois d'absence de bienveillance, sachant que la 2ème peut avoir des impacts négatifs encore plus grands que la 1ère, d'autant plus qu'elle est plus banale et qu'elle fait l'objet de moins de culpabilisation et d'actions pour y remédier.

Si on veut construire un monde plus bienveillant, il faut le faire de manière bienveillante. Et de ce point de vue, on apprend en marchant, sinon la bienveillance ne reste qu'une vague idée, valeur dépourvue de substance et de chair. Il faut que les personnes qui utilisent le mot, qui en font la promotion puissent l'incarner avec détermination et avec humilité, car (presque) personne n'est exemplaire (certainement pas moi), au même titre que (presque) personne n'est exemplaire par rapport à son empreinte écologique (pas moi non plus).

Une bienveillance à 360° sur le "pourquoi", le "quoi" et le "comment" pour aborder ce changement de paradigme auquel nous ne pouvons plus nous soustraire, et qui suscitera, je l'espère, de beaux élans d'enthousiasme plutôt que d'y aller à reculons

Choisissons un monde de demain bienveillant plutôt que de nous en voir imposer un malveillant par un emballement climatique qui surviendrait dans des sociétés centrées sur la compétition, l'individualisme et la défense du territoire et des ressources.

(1) Ce schéma à 4 axes présentant l'inconvénient d'une séparation entre l'être humain et la nature, j'en ai conçu également un autre en intégrant la nature dans chacun des 3 autres axes : 
  • la nature est en moi (je suis un organisme vivant comme un autre avec des cellules)
  • "autrui" peut être humain comme autre qu'humain ; celles et ceux qui ont des animaux domestiques le comprendront bien ; idem pour celles et ceux qui ont des rapports étroits avec leurs plantes
  • les collectifs et communautés ne sont pas qu'humains : ils peuvent être aussi inter-espèces. On peut ainsi aussi ajouter aux collectifs et communautés les communs
Ce qui donne le schéma revisité suivant :


dimanche 15 septembre 2019

Une date clé pour la planète : lundi 23 septembre 2019 ?


A l'initiative d'António Guterres, Secrétaire général de l'ONU, le sommet action climat 2019 est organisé à New-York lundi 23 septembre 2019.

"Ce sommet constituera une étape déterminante dans la coopération politique internationale et incitera de vastes mouvements de soutien au cœur de l’économie réelle. Ensemble, ces évolutions enverront des signaux politiques et commerciaux puissants et donneront un nouvel élan ... nécessaire pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris et les Objectifs de développement durable."

Dans un discours du 10 septembre 2018 (traduction automatique en français), le Secrétaire général de l'ONU a alerté sur la lenteur avec laquelle les pays concrétisent leur engagement par rapport à l'Accord de Paris. L'objectif est de "maintenir l’augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2°C, et de mener des efforts encore plus poussés pour limiter cette hausse à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels".

L'année dernière, presque jour pour jour, le Secrétaire de l'ONU avertissait de l'urgence et évoquait un cap à court terme pour changer réellement les politiques et comportements :
« Si nous ne changeons pas de cap d'ici 2020, nous risquons de passer à côté de l'essentiel qui fait que nous pouvons éviter un changement climatique galopant, avec des conséquences désastreuses pour les populations et tous les systèmes naturels qui nous font vivre. »
Avec notamment les incendies dans les forêts amazoniennes et sibériennes, cette urgence est objectivement renforcée. Un nouveau rapport du GIEC devrait donner de nouvelles informations sur l'évolution du réchauffement climatique et des préconisations. Espérons qu'il prendra en compte au mieux les inquiétudes de chercheurs travaillant sur les effets du dégel du permafrost (cf mon article précédent Le papillon, la serre et le permafrost (ou pergélisol))

Ce faisant, António Guterres s'adressait aux Etats, mais aussi aux citoyens, en insistant sur la participation des jeunes et des femmes :
"Il est impératif que la société civile - les jeunes, les groupes de femmes, le secteur privé, les communautés de foi, les scientifiques et les mouvements populaires du monde entier - appellent leurs dirigeants à rendre des comptes".

L'initiative de Bill De Blasio, maire démocrate de New-York, et de l'administration scolaire de la ville fait écho à cela : ils ont donné leur feu vert pour que les élèves des écoles s'absentent de leur classe pour aller participer à la grande manifestation qui aura lieu le vendredi 20 septembre 2019 ; manifestation emmenée par la jeune Suédoise Greta Thunberg. Un potentiel de plus d'un million d'élèves.

Ces deux événements sont organisés dans le cadre d'une semaine internationale sur le climat qui aura lieu du vendredi 20 septembre au vendredi 27 septembre 2019. Le vendredi 20 septembre centré sur les jeunes de tout age.

En France, des événements auront lieu les vendredi 20 et samedi 21 septembre 2019 sur l'ensemble du territoire. L'organisation Greenpeace propose une page internet pour connaître les lieux de ces manifestations.

On ne sait pas forcément comment participer au changement climatique et plus globalement au développement durable au-delà de manifester. Je vous invite à consulter deux guides très concrets élaborés par les Nations Unis pour quelques pistes d'actions, y compris quand on a tendance à rester dans son fauteuil :


mardi 10 septembre 2019

Le papillon, la serre et le permafrost (ou pergélisol)

Les fées de serre qui se transforment en sorcières de l'étuve.


Il ne faut pas se tromper quand on parle d'effet de serre : il ne s'agit pas d'une anomalie produite par l'activité humaine : l'effet de serre est un phénomène vital qui protège les êtres humains et beaucoup d'espèces vivantes non humaines de températures glaciales. Sans effet de serre, il est avancé par les scientifiques que la température moyenne sur terre serait de l'ordre de - 18°, autrement dit : pas vivable.
En réalité, ce qui représente une inquiétude de plus en plus grande des scientifiques, d'ONG, d'une partie de la population, de quelques politiques et notamment le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres qui l'a clairement exprimé en septembre 2018 (le chef de l’ONU appelle à ne plus perdre de temps alors que « le monde change sous nos yeux ») c'est l'emballement de l'effet de serre et le dérèglement climatique.

Pourquoi ai-je décidé d'évoquer ce sujet noir, voire dramatique sur ce blog consacré au bonheur et à la psychologie positive ? Parce que ça fait partie de la réalité de la vie et des inquiétudes que partagent de plus en plus de personnes. Je relie étroitement le bonheur avec la bienveillance. Une bienveillance sur 4 dimensions : envers soi-même, envers autrui, envers les collectifs et communautés auxquels on appartient et envers la nature (1).
Or, je pense ne pas être le seul à constater que, particulièrement depuis le début de l'ère industrielle, l'être humain n'est pas bienveillant envers la nature et qu'avec la société de consommation, ses 4 dimensions de la bienveillance sont en danger.

J'ai découvert il y a 18 mois le terme "collapsologie" introduit par Pablo Servigne co-auteur des livres L'entraide, l'autre loi de la jungle avec Gauthier Chapelle et Une autre fin du monde est possible, avec le même Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens. L'idée d'une fin prochaine de notre civilisation industrielle, voire pour les plus pessimistes de notre civilisation, ne m'a pas été facile à intégrer et elle trotte dans ma tête depuis comme une possibilité loin d'être extravagante. Une possibilité parmi d'autres. En lisant la postface écrite par Cyril Dion (notamment réalisateur du documentaire Demain), j'ai pris connaissance de son inquiétude à propos du dégel du permafrost, phénomène dont je ne connaissais rien ou presque.

Pendant plusieurs jours, j'ai recueilli avec intérêt et questionnements des informations sur la toile. J'ai tiré de nombreux fils m'ayant entraîné sur diverses sujets liés au dérèglement climatique. C'est ainsi que je partage avec vous une synthèse de ces informations, qui rassemblées et interconnectées produisent un tableau plus pessimiste que je pouvais l'avoir il y a encore peu. Je les partage avec vous car je suis convaincu qu'il y a urgence à radicalement changer nos comportements individuels et collectifs, en y introduisant la plus grande bienveillance pour éviter le piège tellement classique : trouver des responsables, voire des coupables, les punir et attendre qu'ils changent. L'économiste altermondialiste Jean Gadrey a décortiqué cette tendance individuelle et collective (dont certaines ONG) à renvoyer toute la responsabilité sur notamment l'industrie du pétrole (qui a sa responsabilité, mais qui ne doit pas dédouaner les autres industries, les politiques, et nous consommateurs et citoyens) dans l'article 100 entreprises responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre : vrai ou faux ?

Avant de vous dresser ce tableau, je vais en premier lieu camper l'enjeu central selon moi : la difficulté de prise de conscience de phénomènes qui non seulement nous sont lointains géographiquement mais aussi émotionnellement. Je prends quelques événements de 2019 pour l'expliquer. Vous vous souvenez forcément de l'émotion et du retentissement national et international qu'a suscités l'incendie de Notre Dame. Plus proche de nous, la forêt amazonienne qui brûle a généré des réactions mais probablement moins partagées en France que pour Notre Dame. Pourtant l'impact pour notre futur est autrement plus grave. La question que l'on peut se poser est la suivante : qu'est-ce qui nous touche le plus : le fait que la forêt brûle ou les conséquences de ces incendies sur le climat ? Je pense que c'est la vision de la forêt amazonienne que nous avons dans nos têtes qui prime. Et c'est ce qui peut nous donner de l'élan pour appeler à ce qu'on sauve la forêt amazonienne, qu'on sauve les espèces, qu'on sauve les quelques tribus qui restent, et qu'on sauve le poumon de la planète. Ce dernier argument étant le plus directement relié à la question du climat.

Pendant que les forêts brûlent en Amazonie, d'autres brûlent en Sibérie avec un retentissement bien moins large. Beaucoup moins de voix se font entendre pour sauver les forêts de Sibérie qui n'ont pas le même capital d'émerveillement. Je vous conseille d'utiliser des moteurs de recherche pour ces 3 événements et de constater les différences entre les nombres de résultats référencés.

Et le permafrost ? Qui veut sauver le permafrost ? Euh ... le permafrost ... pourquoi ? C'est grave docteur ? Pour vous parler du permafrost, terme anglais, pergélisol en français, je me permets cette image : le permafrost serait-elle à l'Amazonie, ce que la face immergée d'un iceberg est par rapport à sa face émergée ? (cf schéma 1)

Schéma 1


Et cette image tombe bien puisque le permafrost est aussi gelé. C'est un sol dont la température reste inférieure à 0°C pendant au moins 2 années consécutives. Il est localisé dans les hautes latitudes (nord) et dans les massifs montagneux, principalement en Alaska, au Canada et en Sibérie. Cela représente pas moins de 20 à 25 % de la surface terrestre de l'hémisphère Nord.
Extrait infographie de l'AFP

Une bonne partie de ce sol est composée d'eau gelée avec une partie en surface de terre et éventuellement de végétation. En fait, autant on a envie de voir continuer la vie danser et chanter dans la forêt amazonienne, autant il serait mieux pour tout le monde que le permafrost ne fasse pas parler de lui, qu'il reste gelé pour l'éternité, ou au moins pendant encore très longtemps, et surtout que si dégel il devait y avoir, ce ne soit pas le produit de l'activité de l'homme.

Sauf qu'avec le réchauffement climatique, le permafrost dégèle depuis quelques années, et beaucoup plus tôt que prévu (70 ans plus tôt). Un peu à la façon d'un bouillon de culture (de méchantes cultures) ou d'une marmite des sorcières qui seraient inoffensifs quand ils sont à l'état de gel mais deviendraient des sources de poison à ciel ouvert une fois dégelés. Et là, l'être humain se trouve très embêté, voire angoissé avec trois questions majeures :
  • comment mesurer les impacts en local et plus généralement sur la planète ?
  • le permafrost, on ne l'avait pas pris en compte dans les simulations du dérèglement climatique ; ça va avoir quels impacts supplémentaires ?
  • est-ce qu'on peut arrêter, freiner ce dégel, mettre en place des actions pour limiter les impacts ?
Quels sont les impacts constatés par les scientifiques et comment entrevoir l'avenir ? Avant de résumer ce qui ressort de mes lectures sur le sujet, je veux considérer quatre phénomènes type qui sont en jeu pour le dégel du permafrost, mais qui se retrouvent dans bien des questions de dérèglement climatique
  1. les boucles de rétroaction positives (qu'on peut aussi appeler "cercle vicieux") : plus il y a réchauffement, plus le permafrost dégèle et plus les conséquences de ce dégel produisent une émission de gaz à effet de serre  (notamment du CO2, mais je listerai plus précisément les différentes boucles de rétroaction positives, car malheureusement elles sont au pluriel), plus cela renforce l'effet de serre, et plus l'atmosphère se réchauffe ; cf schéma 2
    Schéma 2
  2. les points de basculement (ou un certain nombre d'autres d'appellations, notamment "points de non-retour" ou "point de rupture" ; "tipping point" en anglais) : C'est un seuil au-delà duquel une accélération survient avec une impossibilité de revenir en arrière, voire une impossibilité d'enrayer un phénomène qui s'emballe. Un peu comme une réaction en chaîne dont on maîtrise souvent mal les paramètres. Un point de basculement a fait parlé de lui il y a un peu plus d'un an en août 2018 suite à la publication de Trajectories of the Earth System in the Anthropocene faisant référence à une menace de "terre étuve" si la température moyenne devait s'élevait de plus de 2° par rapport à celle de l’ère préindustrielle, sachant que nous en sommes déjà à +1° et qu'elle continue d'augmenter à un rythme de 0,17° par décennie. Un autre point de basculement a été évoqué pour un seuil de +4° (et un niveau de CO2 dans l'atmosphère trois fois supérieur à celui qu'il est) : un type de nuage (les stratocumulus) ne pourraient plus se former (1) ; nuages qui reflètent les radiations solaires, protégeant ainsi la Terre et la refroidissant. Cette disparition ferait monter la température d'un seul coup de 8° en plus (dont au cumul : +12°)
  3. la dynamique non linéaire : c'est à relier avec le point précédent : au-delà du point de basculement, il y a une accélération qui peut être brutale ; quand il est dit précédemment que la température augmente de 0,17° en moyenne, il serait très optimiste de faire une simple opération arithmétique pour calculer une date probable d'atteinte des +2° avec une progression moyenne de 0,17° ; il est possible que le dérèglement s'amplifie de manière brutale avant d'atteindre cette supposée valeur de point de basculement.
  4. les boucles de rétroaction négatives et les conséquences ambivalentes : et c'est peut-être là que la psychologie positive fait sa grande entrée dans cet article : avec le réchauffement climatique, il y a des conséquences négatives et il faut s'en inquiéter. Mais il y a aussi des conséquences positives qui peuvent amortir les effets négatifs ou agir positivement sur un autre front ; le piège étant bien entendu de sous-estimer les dangers sous prétexte qu'il y aurait possibilité de phénomènes d'amortissement et de compensation (phénomènes qui ont bien du mal à être quantifiés et validés) ; j'en indiquerai quelques-unes pour le permafrost. 
Ces quatre phénomènes type, et en particulier l'existence de phénomène d'amortissement et de compensation, font que le dérèglement climatique est un sacré casse-tête pour les scientifiques. De mon point de vue, pas vraiment pour en discuter la réalité, mais surtout pour évaluer son ampleur et les mécanismes en jeu. Ils auraient besoin de beaucoup de temps et de moyens pour aider à la connaissance et à la décision. Sauf qu'au regard de l'urgence, ils n'ont ni l'un, ni l'autre si on veut faire les choses de manière scientifique, académique, validée, ... C'est pourquoi certains alertent sur le temps que nécessite le processus de production de résultats, d'analyses, de préconisations, notamment par le GIEC, qui, en l'occurrence, a très peu pris en considération les impacts du dégel du permafrost. Le GIEC ne se prononce qu'après un consensus entre ses membres. Entre le moment où un scientifique a l'intime conviction d'un phénomène qui remettrait en cause les modèles existants et le moment où le GIEC l'intègre, puis le moment où les politiques l'intègrent réellement dans leurs décisions et leurs actions, l'emballement risque de s'accélérer dans une forme d'immobilisme généralisé. Un emballement que tout un chacun peut percevoir (ce qui nécessite de ne pas être enfermé dans une forme de déni) sans forcément avoir tous les modèles pour l'expliquer. Cela nécessite certainement d'appliquer un principe que l'on sait si bien brandir quelques fois dans nos sociétés : le principe de précaution. Et force est de constater que depuis de trop nombreuses années nous ne sommes pas suffisamment précautionneux pour le climat dans les décisions politiques, économiques et industrielles, et dans nos comportements individuels.

Conséquences du dégel du permafrost

J'en viens au dégel du permafrost, à ses conséquences négatives et à quelques phénomènes qui pourraient amortir ou compenser :

  • Le dégel du permafrost produit des gaz à effet de serre (GES) ; comme vous le constaterez, ils sont au nombre de trois, constituant chacun une boucle de rétroaction positive : plus il y a réchauffement, plus le dégel intervient, et plus ces gaz sont produits, et plus ils accentuent l'effet de serre. Ces gaz sont :
    • le dioxyde de carbone (CO2) ou gaz carbonique : il est produit par les bactéries au contact de l'air à partir du carbone contenu dans le permafrost et la végétation en décomposition sur le sol. A noter que le permafrost contient quantités de microbes qui ont été congelés au moment du refroidissement de la terre. Au dégel, ils se réveillent affamés. Le dégel de la totalité du permafrost pourrait conduire à une émission entre 50 et 250 milliards de tonnes de CO2 selon Florent Dominé, physicien du CNRS et de l'Université de Laval (Québec) qui est sur le terrain depuis plusieurs années au Canada. Le CO2 est le contributeur de l'emballement de l'effet de serre dont on parle le plus, mais vous allez voir que ce pourrait être l'arbre qui cache ... d'autres arbres :
    • Image extraite du documentaire
      Le mystère du permafrost sur RT France
    • Le méthane (CH4) : il  existe sous forme de poches qui, au dégel, se répandent dans l'atmosphère. Un gaz dont on suppute qu'il puisse être à l'origine de phénomène que certains ont cru extraterrestres : des immenses trous béants, comme si une énorme sphère bien lisse avait été propulsée du ciel dans la terre.
      Ces gouffres se multiplient comme le rapporte l'article Les trous géants se multiplient en Sibérie.
      Le méthane est aussi produit par l'activité de bactéries dans les mares d'eaux qui se forment lorsque le sous-sol aqueux dégèle et que l'eau remonte en surface. Il en est apparu des millions ces dernières années, appelés thermokarst. Des scientifiques les qualifient de véritables "usines biochimiques" ou "bioréacteurs". Pour preuve de cette production de gaz, il suffit en hiver de casser la glace de ces mares et de placer un briquet au-dessus pour voir une flamme s'échapper du trou.
      Image extraite de la vidéo UAF - 2010 - Hunting for methane with Katey Walter Anthony

      Le méthane est redoutable car il réchauffe 28 à 36 fois plus que le CO2, si on se projette sur une durée d'un siècle. Illustration de l'aspect non linéaire dont je parlais précédemment : entre 2014 et 2018, le méthane a augmenté presque deux fois plus vite dans l'atmosphère que sur la période 2007-2014
    • le protoxyde d'azote (N2O appelé aussi communément gaz hilarant) : c'est le phénomène qui a été étudié le plus récemment et qui méritera des études plus poussées car une première étude de 2017 avec des mesures prises en 2013 sur une zone de petite taille (310 km2) montre que les émissions de N2O par le pergélisol pourraient être douze fois plus importantes que prévu. Jusqu'à présent le protoxyde d'azote avait été négligé en matière de GES, bien qu'il soit 300 plus réchauffant que le CO2, du fait de sa faible proportion dans l'atmosphère. Cette étude change donc la donne, d'autant plus que sa durée de vie est encore plus longue que celle du CO2 (120 ans au lieu de 100 ans ; 12 ans pour le méthane) et que par ailleurs, il est destructeur de la couche d'ozone (c'est le premier contributeur à la destruction de cette couche).
  • D'autres bactéries ont des effets inverses qui pourraient amortir l'émission de GES ; notamment la bactérie, Methylocapsa gorgona qui fixe le méthane et qui pourrait aussi fixer l'azote. Pour continuer sur le champ des bonnes nouvelles, la végétation qui pousse sous forme d'arbustes peut devenir un "puits de carbone".
  • Outre le réchauffement climatique, d'autres conséquences négatives menacent la santé des animaux et des êtres humains :
    • le mercure : le permafrost constitue le plus gros réservoir de mercure sur la planète (1,6 millions de tonnes). Un total dégel du permafrost revient à libérer la totalité de ce réservoir peu à peu dans les cours d'eau, ingurgité par tous les organismes participant à la chaîne alimentaire
    • parmi les microbes dont je parlais précédemment, il y a des virus qui peuvent remonter jusque il y a 1 million d'années. C'est ainsi que des virus connus disparus peuvent refaire leur apparition. Ce fut le cas en 2016 avec l'anthrax qui a contaminé des milliers de rennes et conduit au décès d'un enfant. Le grande inquiétude vient du fait que le dégel du permafrost ouvre l'appétit non seulement des microbes qui se réveillent mais aussi de l'industrie minière qui voit s'ouvrir la perspective d'accéder à des minerais et donc des richesses inespérées. Le gourmandise étant peu compatible avec la patience, la crainte est donc que des autorisations soient rapidement données (notamment en Sibérie) pour des exploitations qui demanderaient à se frayer un chemin dans le permafrost pour accéder aux couches de minerais, laissant à nu et à dissémination des virus inconnus de la médecine moderne.
  • Il faut aussi prendre en considération des effets indirects et qui pourront sembler quelques fois contre-intuitifs : je pense notamment au fait que le réchauffement climatique provoque une augmentation de l'évaporation d'eau. Je précise en passant, que la vapeur d'eau est le premier constituant des GES et que l'augmentation de cette concentration participe aussi à l'emballement de l'effet de serre. Cela se traduit dans les régions où se trouve le permafrost par une augmentation des précipitations de neige (même si le nombre de jours de neige diminue du fait du réchauffement). La couverture neigeuse se trouve dont plus épaisse qu'auparavant. Or, plus la couverture est épaisse d'une neige comportant beaucoup d'air, plus elle fait isolant. Florent Dominé explique que les résultats de mesures prises sur le terrain montrent qu'à une température extérieur de -24°, la température du permafrost en contact avec la neige est de -9° (+15° par rapport à l'extérieur) si la couche de neige fait 12 cm. En revanche, pour une épaisseur de 80 cm, la température du permafrost est à la limite du dégel : -1°. Conclusion : avec de fortes précipitations de neige, l'hiver ne permet même pas au permafrost de redescendre en température, et donc il continue son dégel.
  • Il y a aussi les effets "mécaniques" : des maisons, des immeubles et des installations industrielles qui avaient été bâties sur le sous-sol gelé se fendent, voire s'effondrent.
    Image extraite de la vidéo La Sibérie alerte sur la fonte du permafrost

    Cela arriverait dans une grande métropole dans un pays dit riche, l'affaire ferait grand bruit. Mais comme cela touche peu de personnes, dans des endroits perdus - notamment de Sibérie - à l'instar de l'iceberg Amazonie-Permafrost dont je parlais en début d'article, qui va sauver les populations vivant sur le permafrost ? Elle seront probablement relocalisées ailleurs, voilà tout.
  • Pour revenir aux incendies : les incendies qui ont eu lieu en Sibérie auront probablement un impact sur le permafrost : outre la production de CO2, des suies vont se déposer sur les surfaces glacées réduisant leur capacité à réfléchir les rayons du soleil, aggravant donc le réchauffement. En notant que les incendies sont favorisés par le réchauffement, on peut voir une autre boucle de rétroaction positive locale : plus il y a réchauffement, plus il y a d'incendies, plus le permafrost dégèle, plus il y a émission de GES, plus il y a réchauffement.
Je signale une petite animation de France TV (série Décod'actu) qui reprend une partie des informations ci-dessus : Fonte du permafrost, un danger pour l'humanité ?.

On fait quoi maintenant ?

Le sort de l'Amazonie dépend des pays qui se partagent ce territoire, dont la France et le Brésil. Le Brésil, dont la politique environnementale de son Président est régulièrement décriée. Le sort du permafrost dépend de 3 grandes puissances mondiales : Canada, Russie, USA. Les présidents de ces deux dernières font partie des climatosceptiques. C'est donc un obstacle majeur à une prise en compte sérieuse de ces deux phénomènes. Quant au Premier Ministre canadien, une récente polémique dénonce un comportement dissociatif comme le rapporte l'article Taxe carbone, mais nouveaux oléoducs... Le grand écart climatique du Canada ?
Si bien entendu le sort de ces deux écosystèmes dépend beaucoup des pays auxquels ils "appartiennent", c'est probablement au moins tout autant l'activité humaine de toute la planète qui impacte leur avenir, et par effet domino, tous les êtres vivants de la planète.

Les Nations Unies ont su désigner des ensembles de biens culturels et naturels sous l'étiquette "Patrimoine mondial", considérant ainsi des ensembles comme des biens communs. Actuellement, 1% de la surface de l'Amazonie est protégée sous cette égide (6 millions d'hectares). Mais l'Unesco ne se substitue pas aux Etats et sa directrice du Centre du patrimoine mondial Mechtild Rossler précisait récemment le rôle de l'organisation mondiale : « L'Unesco est là pour aider, soutenir, orienter, mais ne peut pas se substituer à la responsabilité de l'État souverain ».
Je ne sais pas si des territoires au-dessus du permafrost font partie de ces patrimoines de l'humanité, mais on voit bien en quoi ils mériteraient d'être considérés comme des biens communs eux-aussi, mais avec une gestion qui relève du principe des communs avec une communauté mondiale et un mode de gestion approprié prenant en considération les parties prenantes du vivant (pas seulement les humains). C'est un enjeu notamment pour faire face à la tentation d'exploitation de minerais.

Comment faire face au défi du dégel du permafrost ? 
  • sur place : il faut évidemment intensifier l'activité pluridisciplinaire des chercheurs (pour analyser et expérimenter), protéger les territoires contre l'exploitation de minerais, protéger les populations, ... Je veux donner en exemple le géophysicien russe Sergueï Zimov puis son fils Nikita qui vouent admirablement leur vie et toute leur énergie jour après jour depuis des années (et c'est peu dire, surtout quand on s'intéresse au permafrost comme moi bien au chaud devant mon ordinateur) à analyser le permafrost et à trouver des solutions pour limiter le dégel. Ils ont trouvé une solution qu'ils développent pour l'instant à petite échelle : repeupler, à main nue et au lasso, le territoire avec des ruminants qui mettent à nu la végétation faisant tapis de sol pour réduire au mieux son effet isolant pendant l'hiver. Je consacrerai prochainement un article de décryptage du reportage d'Arte qui leur a été consacré en novembre 2017 C'est l'occasion pour moi d'exprimer ma gratitude pour tous les chercheurs qui sont sur le terrain, loin de l'image que certains ont des chercheurs vissés bien au chaud dans leur laboratoire devant des microscopes. Ces chercheurs qui font corps avec la nature, dans des conditions météo extrêmes, pour essayer de comprendre, pour être des éclaireurs, des lanceurs d'alerte, pour expérimenter des solutions face à des enjeux qui sont pesants et qui leur pèse émotionnellement. Certains témoignent quelques fois de leur sentiment de désespoir, tout en restant très déterminés en première ligne (3).
  • mais en réalité, probablement le plus gros à faire revient à celles et ceux qui n'habitent pas au-dessus du permafrost. L'enjeu : au pire, ne pas surajouter leur propre part au réchauffement et au mieux adopter des comportements permettant de baisser leurs émissions de GES ; et cela aussi bien au niveau de l'individu, des communautés (dont la famille), des entreprises, des collectivités, ... Je citerais quelques exemples d'actions dans un prochain article en mettant en exergue l'enjeu crucial de la stimulation et de la coopération pour faire une (sa) part. Faire sa part, même petite me fait revenir au titre "Le papillon ..." Pourquoi le papillon ? C'est pour faire référence à l'effet papillon mettant en évidence l'interconnexion complexe entre les phénomènes influant sur le dérèglement climatique. Le papillon, c'est aussi un colibri en plus petit : et là je fais référence à l'idée première du mouvement Colibris, à savoir que chacun peut faire sa part même si cela peut sembler relever de la goutte dans l'océan. Mais il faut avoir cette humilité et c'est probablement un enjeu clé : jouons notre rôle d'habitant de la planète et de contributeur à sa bien-portance, avec humilité et détermination.
  • et, comme j'ai commencé à l'exprimer précédemment : il y a le rôle déterminant des politiques au niveau des nations. Comment donner un vrai sens à la protection du patrimoine mondial de l'humanité en considérant l'ensemble de la planète comme patrimoine et en pensant toute activité humaine dans une perspective de protection court, moyen et long terme des écosystèmes et de notre responsabilité vis à vis de nos enfants et des générations futures ? Une vision politique qui doit évacuer de manière déterminée les notions d'exploitation et d'instrumentalisation du vivant et des ressources au profit des notions de coopération, de considération, de gratitude, de bienveillance, de responsabilité, d'éthique, ...
    Et pour ce faire, je suis convaincu qu'il faut s'attaquer au pécher originel de l'homme masculin, un pécher d'orgueil qui date de près de 5 000 ans : la naissance du patriarcat, fruit d'une double révélation : ses possibilités d'agriculteur et de procréateur (4). Le patriarcat qui a installé une double domination et exploitation : celles de l'homme masculin sur la femme et celle de l'être humain (et de manière plus marqué l'homme masculin) sur la nature. Depuis, des générations de femmes en ont souffert. Si ce pécher originel est très partiellement en voie d'être reconnu et donne lieu au développement de plus de parité dans certains pays (mais on est très loin du compte), c'est bien le contraire qui se déroule pour la nature depuis le début de l'ère industrielle : si l'exploitation par l'homme de la nature a eu probablement peu d'effets sur la planète pendant des milliers d'années, la nature en prend depuis un sacré coup et de plus en plus, je dirais même, de façon vertigineuse. Le double enjeu est donc selon moi : remettre de la considération, de la parité, de la connexion, de la fluidité, de la coopération entre l'homme et la femme, et faire de même entre les humains et les autres qu'humains comme les appellent les auteurs de "Une autre fin du monde est possible". C'est un changement profond, radical. Je m'expliquerai dans un prochain article sur le mot "radical" et ce que cela peut sous-tendre comme diversité des stratégies pour peser sur les politiques et aussi motiver le citoyen à entreprendre un changement que le vivant et les générations futures appellent avec insistance si on veut bien en prendre conscience.
    C'est un enjeu qui mérite d'être au centre des prochaines élections municipales en France, car peut-être que l'efficacité de nos actions jouera beaucoup de la capacité à faire vivre une approche ascendante vigoureuse (individu --> foyer --> commune --> département --> région --> Etat --> Europe --> Nations Unies) à côté de la classique approche descendante où des élus décident, déconnectés à la fois de la réalité, des individus, de la nature et probablement de leur propre nature (mais ce n'est qu'une hypothèse pour ce dernier aspect).
Une date à retenir comme prochaine échéance importante : une conférence climat organisée par l'ONU le lundi 23 septembre 2019, avec un nouveau rapport du GIEC attendu.

Voici ci-dessous une infographie en deux pages résumant les enjeux du dégel du permafrost. La version pdf. La version jpg Page1 Page2

Permafrost par olivier hoeffel


Notes de l'article
(1) Je préciserai ce que j'entends par "la nature" dans un prochain article qui sera probablement intitulé "moi nature et partie intégrante de la nature, par nature"
(3) Le blues des climatologues
(4) Livre "Une autre fin du monde est possible" de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle

Quelques références complémentaires