dimanche 17 décembre 2017

L'empathie, ça ne doit pas être la cerise sur le gâteau du travail, c'est un de ses ingrédients

Dans son livre "Practical Wisdom" (pas de traduction française du livre), Barry Schwartz, psychologue américain (1) s'intéresse à la "sagesse pratique". Il y traite, entre autres, de l'équilibre à trouver dans certaines professions entre l'empathie et le détachement. Il prend l'exemple du métier de médecin.

Il y distingue deux approches de la médecine :
  • une approche "maladie" que l'on pourrait appeler aussi "symptôme" où le médecin se focalise sur les symptômes. Les échanges verbaux entre patient et malade étant centrés sur l'expression des symptômes par le patient
  • une approche systémique où le médecin va au-delà du symptôme et cherche à cerner le contexte et l'environnement présent et passé du patient.

Evoquer l'empathie dans la première approche est un "plus" que le médecin apporte au patient en lui posant des questions sur lui, sa famille, son travail pour lui montrer l'intérêt (réel ou factice) qu'il lui porte au-delà d'un objet porteur potentiel de maladie. Cette empathie dépend alors de la personnalité du médecin, de la conception de son métier, du temps qu'il pense pouvoir consacrer à ce niveau d'interaction avec le patient. Quand le médecin fait partie d'un établissement hospitalier, ce peut être lié à la culture de cet établissement.
L'empathie est ici une cerise sur le gâteau. Cerise sur laquelle le risque de faire l'impasse est grand face à la pression du temps et de la réduction des coûts.
A noter qu'avec cette approche, une étude a montré qu'en moyenne il se passe à peine 18 secondes pour que le médecin interrompt un patient qui commence à exprimer un symptôme (pour lui poser d'autres questions visant à préciser les symptômes).

Evoquer l'empathie dans la deuxième approche, c'est la mettre au cœur même du métier "technique". L'empathie est un outil incontournable pour poser correctement un diagnostic. Ne pas l'utiliser, c'est prendre le risque de rester plus ou moins partiellement au niveau du symptôme et de passer à côté de la cause réelle du problème de santé. L'enjeu est alors de trouver le judicieux équilibre entre empathie et détachement. Aller trop dans le sens de l'empathie peut conduire à la contagion émotionnelle (et en particulier dans le sens des émotions négatives) dont les enseignements de la psychologie positive montrent qu'elles dégradent la qualité du diagnostic.

Un autre enjeu d'importance est l'enjeu économique : comment comprendre que passer plus de temps avec un patient est une approche gagnant-gagnant dans une perspective moyen/long terme.
J'ai évoqué un enjeu assez voisin dans mon article sur laqvt.fr consacré à l'association Buurtzorg de soins à domicile aux Pays-Bas. Cette association a été créée avec l'objectif de donner plus de temps à la relation entre le soignant et le patient. L'analyse économique de cette nouvelle approche a montré que le bilan global est très positif pour le système de santé néerlandais malgré l'augmentation du temps passé par acte (le soignant passe plus de temps à chaque soin, mais le patient guérit plus vite).

Je trouve intéressant de prendre conscience que bien souvent l'empathie n'est pas seulement une façon de mettre de l'huile dans les rouages des interactions au travail et dans les autres sphères de vie.
L'empathie ne fait pas seulement du bien (bien-être psychique) aux personnes qui en bénéficient.
C'est aussi un gage d'efficacité de nos interactions quelles qu'elles soient :

  • pour mieux comprendre la réalité de la personne en face
  • pour mieux comprendre ce qu'elle pense et ce qu'elle ressent
  • pour mieux comprendre ces attentes
  • pour mieux comprendre ses problèmes et la conseiller, l'aider le plus utilement si c'est son attente


(1) il est aussi auteur de deux livres traduits en français Pourquoi on travaille et Le paradoxe du choix. Sur le sujet de la sagesse pratique, il est intervenu à deux conférences Ted en vidéo La perte de notre sagesse et De l'usage de notre sagesse pratique

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