mardi 24 août 2021

Santé, altruisme et bienveillance - Chronique sur la Bienveillance - Episode 32

 


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Voici le 32ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
Cette chronique m'a été inspirée par la préparation d'une rencontre portant sur la santé à laquelle j'apporte ma petite contribution, et par ma relecture du formidable et volumineux "Plaidoyer pour l'altruisme" de Matthieu Ricard (sous-titre : "La force de la bienveillance")

Altruisme et bienveillance

Je commence par l'approche différente que nous avons Matthieu Ricard et moi-même pour positionner la bienveillance par rapport à l'altruisme.


Pour Matthieu Ricard, l'altruisme comporte deux composantes : la compassion face aux situations de souffrance d'autrui et l'amour bienveillant pour contribuer au bien-être d'autrui.

De mon côté, avec mes 4 dimensions indissociables et réplicables de la bienveillance, l'altruisme correspond à la bienveillance qui porte à ce qui n'est pas soi (autrui et les écosystèmes d'appartenance, dont la nature dont nous faisons partie intégrante). Si le travail de Matthieu Ricard à travers ce livre vise la promotion de la Bienveillance à autrui, le mien vise à la promotion de la bienveillance globale (y compris à soi-même), dont on voit bien en quoi effectivement les déficits de bienveillance à autrui et à la planète ont des conséquences désastreuses. Mais quoi qu'il en soit, l'altruisme participe aussi à la bienveillance à soi-même puisqu'elle relève d'un enjeu gagnant-gagnant : quand je cherche à te faire du bien, je travaille aussi à mon bien-être, formant ainsi un cercle vertueux ou une spirale positive.

Compassion, amour bienveillant et continuum de la santé

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS)  a produit en 1946 dans le cadre de sa constitution une définition de la santé que je trouve lumineuse :

"La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité".

On peut faire un judicieux rapprochement entre cette définition et les deux composantes de l'altruisme : la maladie et l'infirmité, correspondant à la souffrance (compassion), et la recherche d'un état de complet bien-être au-delà de l'absence de maladie, correspondant à l'amour bienveillant.

Notre système de santé est largement centré sur la partie gauche d'un continuum où il s'agit de soigner, de réparer et au mieux de prévenir maladie et souffrance.





La définition de l'OMS nous invite à explorer plusieurs zones grises :
  1. la partie droite du continuum (ce que certains appellent la santé positive, qui peut se baser sur la salutogenèse, à savoir les facteurs favorisant le complet bien-être) ;
  2. les liens forts entre santé physique, mentale et sociale et des approches systémiques permettant d'adresser ces 3 dimensions en même temps et non isolément (le pire étant des professionnels de santé qui se renvoient la balle ou le malade comme une patate chaude), et d'en comprendre les interactions ;
  3. considérer les maladies et troubles mentaux avec le même niveau de compassion que pour les maladies et troubles physiques.
Concernant la souffrance et la compassion qui mérite d'être cultivée de manière étendue (au delà de nos proches), Matthieu Ricard fait une juste distinction entre la souffrance et les causes de la souffrance.

Je fais un croisement de regard avec la matrice de méconnaissances de l'analyse transactionnelle. J'en fais une simplification ci-dessous qui met en évidence 4 niveaux qui se superposent :

  1. les symptômes rencontrés par un individu ;
  2. les causes de ces symptômes ou l'indentification d'un problème ;
  3. les solutions pouvant être activées ;
  4. les solutions qui semblent à la portée et activables par cet individu.


Un individu face à problème de santé peut se trouver immobilisé à un de ces 4 niveaux et il lui faut surmonter les méconnaissances liées à ce niveau pour pouvoir passer au niveau suivant. Et un enseignement important est que toute aide adressée à un niveau supérieur est souvent inefficace

Je donne un exemple : mon conjoint fume et tousse beaucoup. Je l'invite à utiliser des patchs pour s'arrêter de fumer. Seulement mon conjoint est dans le déni de sa toux et me dit qu'il a la crève depuis quelques jours. Donc, il est dans la méconnaissance de ses symptômes (niveau 1) et voit encore moins en quoi fumer est (vraiment) un problème (niveau 2). Et donc la proposition de solution (niveau 3) fait un flop.

Je donne un exemple proche plus complet dans le tableau ci-dessous :



D'une manière plus générale, face à une maladie, il est important de savoir si soi-même ou toute autre personne aidant (soignant, proche, ...) agit sur le bon niveau de méconnaissance et contribue à la bonne information pour faciliter la lucidité, la juste conscience et la bonne prise de décision écologique (prenant en compte l'environnement, le contexte et les impacts sur l'environnement).

Des enjeux éclairés par l'OMS et par Matthieu Ricard

En recherchant les écrits de l'OMS liés à sa définition de la santé, j'ai pris connaissance des principes énoncés dans le préambule de sa Constitution. Certains sont intéressants à croiser avec les propos de Matthieu Ricard sur l'altruisme.

"L'admission de tous les peuples au bénéfice des connaissances acquises par les sciences médicales, psychologiques et apparentées est essentielle pour atteindre le plus haut degré de santé."
L'ignorance est la source première de la souffrance selon les propos de Matthieu Ricard inspirés du bouddhisme. Une ignorance qui est plutôt évoquée concernant nos schémas mentaux et nos habitudes à voir la réalité à travers nos projections et nos filtres. Mais étendons l'idée d'ignorance à la méconnaissance que j'ai évoquée dans la section précédente ; on voit plusieurs enjeux :  bien se connaître, bien connaître son corps, bien entendre son corps, bien reconnaître des symptômes, ne pas différer, bien connaître l'état de l'art de toutes les disciplines de santé aptes à faire face aux symptômes, aux causes, comprendre leurs potentiels de transversalité ET PROBABLEMENT LE PLUS IMPORTANT : savoir utiliser une approche holistique. A travers l'altruisme se joue un autre niveau de connaissance : la (re)connaissance des vrais besoins de la personne que l'on veut aider (et pas seulement ses désirs/caprices ou la simple projection de ses propres besoins ou de ses propre façons de répondre aux besoins "je sais ce qui est bon pour toi parce que c'est bon pour moi"). Une (re)connaissance qui s'appuie sur l'humilité.


"La possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale"

Je croise ce principe de fraternité et d'égalité avec l'idée d'altruisme étendu de Matthieu Ricard. Il s'agit d'étendre notre altruisme "biologique", naturel, spontanée qui nous pousse à porter attention et soin à nos proches. L'altruisme étendu étend donc l'altruisme aux personnes moins proches, aux personnes qui peuvent être malveillantes avec nous et aux inconnus. Un altruisme qui nécessite de l'impartialité et du discernement pour porter attention et soins à ceux qui en ont le plus besoin et pas (seulement) à ceux de notre préférence ou de notre proximité. On peut voir l'appel de l'OMS à vacciner l'ensemble des populations sur la planète contre la covid-19 avant de démarrer une campagne de 3ème injection comme relevant  de cette approche (nonobstant le niveau de réflexion que chacun de nous peut avoir sur la vaccination, le passe sanitaire et les politiques associées).
On peut étendre cet altruisme au-delà des humains : aux autres qu'humains et en cela on met alors étroitement en lien l'état de santé des humains avec l'état de santé de la planète, deux aspects qui sont indissociables dans mon esprit. Un enjeu capital selon moi face à l'emballement climatique où les humains font porter un énorme risque à la planète et à eux-mêmes dans une logique d'autodestruction, favorisée notamment par une partie de notre cerveau : le striatum.

"L'inégalité des divers pays en ce qui concerne l'amélioration de la santé et la lutte contre les maladies, en particulier les maladies transmissibles, est un péril pour tous."
S'inspirant du bouddhisme, Matthieu Ricard évoque, entre autres, deux idées fondamentales - qui sont aussi fondatrices d'une potentielle société de la bienveillance - : l'interdépendance et la lucidité. En effet, en réalité, l'altruisme n'est pas seulement une question d'éthique ou de morale, c'est aussi finalement une question de bon sens : l'absence de bienveillance ou la malveillance revient tôt ou tard comme un boomerang. Ne pas prendre en compte la santé d'autrui relève du perdant-perdant si on regarde un peu plus loin que son nez.

De multiples questions de confiance

La confiance me semble être au centre de la santé, et de bien des façons. Voici une petite liste non exhaustive :
  • la confiance en soi ;
  • la confiance en ses proches pour ne pas atteindre négativement à sa santé et pour soutenir dans ses élans à améliorer sa santé ;
  • la confiance envers les données médicales et scientifiques ;
  • la confiance envers le système de santé ;
  • la confiance envers les politiques de santé du gouvernement ;
  • la confiance envers un professionnel de santé (diagnostic, geste technique, empathie, intégrité, confidentialité, ...) ;
  • la confiance envers des produits de santé ;
  • la confiance envers des établissements de santé ;
  • la confiance envers les organisations qui emploient, dans leur capacité à préserver et assurer la santé ;
  • la confiance envers les produits alimentaires et ceux qui cultivent, produisent, transforment et commercialisent ;
  • la confiance envers tous les produits de consommation qui pourraient avoir un impact sur notre santé (notamment ceux comportant des nanoparticules, des produits chimiques nocifs, ...) ;
  • la confiance envers des infrastructures et technologies (émetteurs pour les mobiles, proximité d'industrie à risque, proximité de lignes à très hautes tension, barrages, centrales nucléaires, ...).
Je vois plusieurs enjeux concernant ces questions de confiance :
  • considérer la relation avec les professionnels de santé au-delà du geste technique, en introduisant un minimum de réciprocité de bienveillance malgré le côté asymétrique par essence de la relation (patient et soignant) ;
  • jouer l'alliance thérapeutique entre soignant, patient et entourage ;
  • jouer la transversalité et la coopération entre professionnels de santé ;
  • sortir d'une dichotomie médecine classique et médecine alternative pour envisager et valoriser la complémentarité ;
  • se donner les moyens des ambitions, et donner les moyens et le temps aux professionnels de santé pour exercer sereinement leur activités (là aussi, au-delà du geste technique) ;
  • la nécessaire humilité où chaque professionnel est en mesure de reconnaître les limites de ses compétences et d'en informer le patient ;
  • toujours considérer que l'individu est le premier acteur de sa santé, et réduire au maximum les cas où le sujet devient objet ou passif ;
  • la plus grande transparence possible bilatérale : le patient sur ses symptômes et le professionnel sur son diagnostic, les solutions qu'il préconise ;
  • l'existence d'un professionnel coordonnateur.

Notre santé, un vaste sujet qui interroge l'individu pour lui-même, pour ses proches, en tant que citoyen, en tant que cohabitant d'une même planète, dans sa spiritualité. Un système de santé probablement à l'image de l'état de notre démocratie : on en est à la fois bien content sous le sceau de la relativité (par rapport à d'autres pays) et à la fois on est en insatisfait avec des sentiments de colère, de peur, de doute et beaucoup d'impuissance.

Alors sortons de notre impuissance solitaire pour envisager une puissance coopérative !

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