NB : dans mes prochains articles et dans la communication de cet article, j'emploierai aussi l'appellation simplifiée "Voir et donner à voir".
Dans mon article Coopération ouverte et 4 dimensions de bienveillance - Chronique sur la Bienveillance - Episode 23, j'ai évoqué brièvement le concept d'Archipel inspiré de la pensée du poète et philosophe Edouard Glissant.
En quelques mots, ce concept vise à un mode d'organisation alternatif au mode d'organisation vertical quasi hégémonique. Un mode qui se caractérise par un pouvoir centralisé que l'on retrouve aussi bien au niveau de l'Etat et de ses administrations, des entreprises et même dans le milieu associatif (des adhérents, un Conseil d'Administration, un bureau, des fédérations d'associations). Des modes d'organisation où beaucoup d'initiatives sont soumises au tranchant d'une autorité, et d'autant plus s'il s'agit de coopérer avec des acteurs à l'extérieur du collectif.
L'Archipel est indéniablement un mode d'organisation qui ouvre grandement à une coopération ouverte (Vs coopération fermée) en s'appuyant sur le respect de l'identité, de la raison d'être, des valeurs, des aspirations de chacun des collectifs, communautés et individus. De mon point de vue, il a le potentiel de concrétiser l'idée de Société et de Territoires de la Bienveillance que je promeus.
L'idée n'est pas de rendre tous les collectifs en mode Archipel pour leur fonctionnement interne, mais déjà d'envisager l'inter-coopération entre collectifs, et particulièrement entre collectifs et communautés de nature potentiellement différentes, mais qui partagent des valeurs et des aspirations communes.
En quelques mots, voici les entités clés du concept d'Archipel présentées dans l'illustration suivante de ma composition :
Je renvoie à la présentation de la symbolique d'un archipel sur le site internet de La Bascule, ensemble de collectifs coopératifs.
Une double dynamique
Dans la symbolique de l'Archipel, un collectif est une île. Elle comporte deux identités : une identité-racine et une identité-relation (1).
L'identité-racine fait références à son histoire, sa raison d'être, sa culture, sa singularité sur le pourquoi, le quoi et le comment (et son niveau de résonance entre ses 3 aspects). C'est ce en quoi le collectif ou la communauté est unique et ferait défaut si elle n'existait pas.
Avant d'évoquer l'identité-relation, voici comment s'est exprimé sur l'idée de relation Patrick Chamoiseau, Ecrivain originaire de la Martinique (extrait émission Médiapart)
"L'idée de la relation suppose que je me réalise dans le souci de l'autre. C'est la plénitude de l'autre qui assure ma plénitude. Et je ne peux m'envisager aujourd'hui que dans une mise en relation non seulement avec l'autre, mais avec l'étranger, mais aussi avec le vivant, mais aussi avec la planète, mais aussi avec le cosmos, tout ce qu'on peut imaginer comme écosystème dans lequel nous devons vivre aujourd'hui... et puis c'est soi-même, la complexité qu'il y a avec soi-même".
On voit dans ces propos la forte dimension de bienveillance et le caractère holistique qui met en jeu un côté ascendant : les écosystèmes d'appartenance (un collectif fait partie d'écosystèmes plus vastes) et un côté descendant : les constituants (un collectif contient des membres). Si on raisonne au niveau de l'individu, ce sont côté ascendant, les écosystèmes auxquels il appartient (du couple jusqu'à petite partie de l'univers) et côté descendant, les organes, cellules, atomes dont il est composé. Je renvoie aussi à l'idée d'unification de l'humain et de la nature : composant (comme un autre) de la nature et constitué de nature.
Dans le concept d'Archipel, l'identité-relation concerne les relations avec les autres îles. Une relation entre deux îles repose pour chacune des parties sur deux dynamiques :
- Rendre visible pour se donner la possibilité d'être vu par d'autres îles qui feraient l'effort de voir. Et c'est également, se rendre accessible dès lors qu'une interaction serait initiée par une autre île.
- Voir les autres îles, qui en réalité est bien une dynamique de curiosité exploratrice : une curiosité relative à l'identité-racine et aux identités-relations des autres îles. Autrement dit, l'intérêt et l'attention portée à ce que les autres îles sont et font.
- l'activation de ces deux dynamiques - rendre visible et voir -
- par chacune des parties prenantes.
- de mon côté, que j'aille vers elle pour m'intéresser à elle, sa situation, ses émotions, ses aspirations, ses besoins ;
- et qu'elle rende visible qu'elle existe, sa situation, ses émotions, ses aspirations, ses besoins.
- de mon côté, je rends visible que j'existe, ma situation, mes émotions, mes aspirations, mes besoins,
- et de son côté, elle va vers moi pour s'intéresser à moi, ma situation, mes émotions, mes aspirations et mes besoins.
Attachement, signalement, rapprochement
- Des comportements de signalement d’un besoin.
- Des comportements de rapprochement à l'initiative de l'un ou l'autre dans la relation, en particulier de la personne destinataire du signalement.
- Identification de son propre besoin par la personne (initialement, pour la théorie de l'attachement qui s'intéresse au lien bébé-personne qui prend soin de lui, c'est le bébé)
- Bon comportement de signalement (communication claire et transparente du besoin à l'autre (couple, amical, professionnel, ...); initialement, c'est le bébé)
- Accusé réception du récepteur du signalement et comportement adapté pour aider la personne à répondre à son besoin (à l'origine, c'est la personne ou les personnes qui prend/prennent soin du bébé)
- La personne (le collectif) qui peut être aidée doit d'abord être attentive à elle-même et savoir identifier son besoin (se voir). Ce qui n'est pas évident face aux tendances fortes au déni et aux diktats de l'urgence, du "faire", des objectifs et à la priorisation des projets par rapport aux humains et aux croyances limitantes (Ex : "on ne doit pas montrer qu'on a des problèmes").
- La personne (le collectif) qui peut être aidée doit exprimer (rendre visible) son besoin de manière adaptée : ni trop, ni trop peu, avec les bons canaux de communications, en choisissant le moment opportun, en essayant de solliciter les bons interlocuteurs, ... Il y a ensuite deux modes : l'affichage ou la demande explicite à un interlocuteur ou à un ensemble d'interlocuteurs ciblé.
- La personne qui peut aider doit être vigilante (voir), disponible et réactive de manière adaptée en fonction du besoin exprimé (voire à faire exprimer ou préciser le besoin) tout en régulant la bienveillance envers elle-même (se voir) dans un juste équilibre (vs oubli de soi-même)
- La personne qui peut être aidée doit recevoir avec bienveillance, assertivité (elle peut dire non) et gratitude l'aide qui lui est apportée/proposée (se rendre accessible).
- Si la personne pouvant être aidée refuse l'aide, l'aidant doit l'accepter de bonne grâce. Sauf situation exceptionnelle, notamment lorsque la vie est en danger. Ce qui nécessite du discernement : faire preuve d'humilité et accepter le refus ou considérer comme sa responsabilité d'aider l'autre contre son gré (voir)
Une actualité récente qui fait écho
- Cultiver chez l'enfant le droit et le réflexe de rendre visible tout acte de violence sexuelle qui serait commis contre lui.
- Généraliser le devoir absolu de prévenir (éviter d'avoir à voir), de voir et de traiter (éviter de voir les violences et l'impunité perdurer) les violences sexuelles dans toutes les strates de la société : les familles, les milieux éducatifs, les organismes sociaux et médicaux, la police, la justice, le monde de la culture, les institutions religieuses, ...
(1) A noter que l'on peut aussi envisager identité-racine et identité-relation au niveau individuel : ce qui fait que je suis unique et mes relations aux autres et au monde
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