vendredi 8 janvier 2021

Sexualité - Le sens des mots et des maux - Chronique sur la Bienveillance - Episode 18

 


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Cet article contient une (des) ressource(s) mise(s) en commun par Olivier Hoeffel

Voici le 18ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.

Hier, jeudi 7 janvier 2021 a été publié le livre La familia grande de Camille Kouchner. Les médias en font largement l'écho depuis le début de semaine, probablement à un tel niveau, parce que cela touche une personnalité publique. Il se trouve aussi peut-être que les sujets du viol et de l'inceste trouvent plus d'écho dans notre société depuis 3 ans avec le mouvement #MeToo. Et j'apprécie que cette culture d'un silence certainement pas d'or se fendille. Je souhaite que ce mur subisse le même sort que celui de Berlin (à la différence près qu'on n'en conservera pas des vestiges en souvenir) et j'essaye d'apporter mon humble masse à ce travail de destruction, dans la bienveillance.


Un premier mot et mal concerné par cet article est directement lié à cette actualité : l'inceste. L'inceste qui dès lors que l'on essaye de s'intéresse au sujet conduit à un autre mot et mal : consentement. Et je veux en évoquer un 3ème qui en réalité est une expression "devoir conjugal". 

"Inceste", "Consentement" et "Devoir conjugal" qui ont à voir avec la sexualité. Ce qui me frappe avec ces 3 notions, c'est le flou (quelques fois entretenu) dans la population sur plusieurs dimensions :

  • De quoi parle-t-on vraiment ?
  • Quels sont les aspects juridiques ?
  • Quel historique ?
  • C'est quoi la norme, la normalité, l'anormalité, la ligne jaune, le dénonçable, ... ?
  • Quels sont les enjeux ?
  • Quelles sont les statistiques ?
  • Quelles sont les conséquences pour les victimes, les coupables ou présumés coupables et la société ?
  • Quelles sont les aides pour les victimes ?
  • Quelles sont les politiques de prévention ?
  • Comment ça se passe dans les autres pays ?
Beaucoup de peurs s'entrecroisent : céder à la sollicitation sexuelle par peur, se taire de violences sexuelles subies par peur (du violeur, de l'entourage, d'un mauvais accueil par les services de police, du qu'en dira-t-on, ...), ne pas dénoncer si on a été témoin par peur (plusieurs raisons possibles), peur potentielle d'ouvrir la porte à des fausses allégations d'enfant (d'autant plus avec les recompositions familiales faisant que des enfants peuvent se trouver en conflit avec des hommes qui ne sont pas leur père), peur pour les médias d'entacher la respectabilité d'un homme public (d'autant plus s'il est reconnu pour son humanisme) et de franchir le droit sacré à la vie privée.

Sur ces 3 sujets, il y a énormément à dire, à écrire et il n'est pas mon propos de m'y arrêter dans cet article en essayant de les décortiquer sous le prisme de la bienveillance. Je n'ai pas encore décidé de la façon de le faire. Peut-être que cela conduira à un travail collectif de réflexion et de propositions. Mais ils sont bien présents dans mes motivations et les enjeux que je vois pour une Société et de Territoires de la Bienveillance.

Alors de quoi vais-je parler ? Je vais tirer quelques fils pour mettre en exergue des enjeux communs avec d'autres maux que connaissent nos sociétés occidentales, notamment en terme de santé de la planète et des humains.

Le patriarcat

Dans la belle série de podcasts "Ou peut-être une nuit" publiée sous le label Louie Media, Charlotte Pudlowski fait le lien direct entre inceste et patriarcat. Elle explique : " Nous avons essayé de faire une sorte de démonstration sur comment l'inceste est le noyau du patriarcat " (extrait d'un article sur neonmag.fr). Un inceste permis par le patriarcat. Un silence entretenu par le patriarcat.

J'ai déjà exprimé ma conviction selon laquelle la transition vers une Société et des Territoires de la Bienveillance passe obligatoirement par l'ébranlement définitif et la destruction du patriarcat. C'est donc non seulement un enjeu de reconsidération de la planète, d'égalité entre les hommes et les femmes, mais il y aussi, et je dis clairement les choses : il nous faut supprimer le patriarcat car c'est le fondement et le maintien du pire de ce que l'humanité fait à des femmes et à des enfants : l'atteinte à l'intégrité physique, psychique et sociale pour la simple jouissance sexuelle d'un mâle (la très grande majorité des actes sont attribués aux hommes) selon son seul bon vouloir. En notant, que c'est aussi une autre communauté de mâles qui a entretenu le silence d'actes de pédophilie : la hiérarchie de l'Eglise catholique.

Evidemment, tous les foyers où le patriarcat est encore bien présent ne sont pas à incriminer, mais il nous faut nous arrêter sur un chiffre qui montre en quoi l'enjeu n'est pas "marginal" : 10% des françaises et français ont été victimes d'inceste (plus de filles que de garçons). Il est toujours intéressant de le rapporter à une échelle plus concrète : dans une classe de 30 élèves, environ 3 enfants sont victimes d'inceste. Dans mon village d'environ 700 habitants, statistiquement, 70 parmi nous ont pu être ou sont victimes d'inceste.

Ecrit comme cela, peut-être que cela fait plus réfléchir et donne vraiment envie de se retrousser les manches pour essayer de supprimer tout ce qui peut entretenir et faire perdurer depuis des générations de tels actes dans un monde qui se dit "civilisé".

La spirale descendante du silence, du déni et de l'impuissance

"Si tu mets le bout du doigt dans le silence, il t'y engloutira le bras puis le corps entier". Voici la pensée que m'amène la spirale descendante du silence. En effet, quand on a commencé à se taire, il est très difficile de revenir en arrière. 

Pour une victime, plus elle se tait, plus son bourreau y voit un consentement et plus il va se déculpabiliser s'il pouvait tant soit peu se sentir coupable. Et plus il ira loin dans ses actes, et plus la victime se trouvera avec une charge qui sera de plus en plus difficile à dire ; plus elle va se culpabiliser à la fois en tant que "responsable" pour partie, et pour son manque de courage à ne pas dénoncer. Sans compter le tiraillement de ne pas dénoncer pour protéger la respectabilité du bourreau et/ou de la famille. Un autre tiraillement entre la réalité des actes subis et l'atténuation qui en est faite dans sa construction mentale pour pouvoir supporter le moins mal possible.

Le silence conduit à un sentiment d'impuissance qui conduit souvent à une dépression. Je renvoie à la série d'articles que j'ai écrite sur laqvt.fr De l'impuissance solitaire à la puissance coopérative.
Une impuissance que l'on retrouve aussi face à des actes de harcèlement, quelle que soit leur nature, et quelle que soit la sphère de vie. Une loi du silence que l'on trouve aussi dans les écosystèmes sous la coupe d'organisations criminelles. Une culture du secret qui est aussi entretenue dans l'économie libérale mondialisée, utilisée notamment pour cacher les actes déloyaux vis-à-vis des consommateurs, des salariés et sociétaux (dégâts à l'environnement, infractions fiscales, sociales, ...).

Pour un témoin, plus il se tait, plus il lui sera reproché de s'être tu, et donc plus il lui deviendra difficile de libérer sa parole. Et si en plus le silence est construit collectivement, s'ajoutera à la peur de dénoncer l'acte, la peur de dénoncer la complicité d'un silence multiplement et d'autant plus cadenassé. 

L'intimité physique, un droit inaliénable

Je me saisis de la notion de "Devoir conjugal" pour traiter du sujet de l'intimité physique. Je suis convaincu qu'il existe dans notre pays beaucoup de personnes, des hommes et des femmes de tout âge qui pensent qu'une fois le lien du mariage conclu, le "devoir conjugal" supprime la nécessité du consentement. Autrement dit, Madame doit répondre aux sollicitations de Monsieur sur le plan sexuel dès lors qu'il en manifeste l'envie. Il y a bien quelques petits subterfuges qui peuvent ponctuellement être aidants pour la femme : le mal de tête, mais encore faut-il que Monsieur considère l'argument comme acceptable. Sans pour autant faire forcément de l'homme un pervers sexuel, avoir cette conception du devoir conjugal (relevant aussi d'une conception patriarcale), provoque deux effets qui induisent des actes non véritablement consentis sans qu'ils soient considérés par l'un et/ou par l'autre comme une violence :
  • l'homme se sent dans son droit, égal à tous les autres hommes dans leur propre couple, d'avoir une relation sexuelle avec son épouse quand il le désire, puisque - dans son esprit - ça fait partie du contrat (de mariage), et il faut bien qu'il y ait des avantages, parce que ça fait quant même beaucoup d'inconvénients par ailleurs (ce n'est pas ma pensée, mais j'extrapole ce qu'elle pourrait être d'un mâle dominant)
  • la femme considère que ça fait partie du contrat et que ce n'est pas grave si elle ne se sent pas disposée. On peut aussi faire plaisir à l'autre de temps en temps. A noter que la chose peut se compliquer si l'appétit sexuel du mari se met à croître et/ou ses demandes dériver sur des terrains qu'elle n'aurait pas du tout envie d'explorer. Je renvoie à l'idée de spirale négative évoquée précédemment
Dans l'article «Il y a encore des gens qui pensent que le devoir conjugal existe !», on s'aperçoit que même dans la magistrature, il existe des juges qui ne connaissent pas le sens du "devoir conjugal". En aucun cas, il ne s'agit d'un droit pour l'homme. C'est un motif de divorce pour chaque conjoint, pas plus, pas moins. Et encore, comme le font remarquer des avocats, il n'est pas facile à prouver.

J'en arrive donc à la question du droit inaliénable : même au niveau de la relation intime la plus acceptée et codifiée qui existe, à savoir entre deux conjoints mariés, l'intimité du corps appartient à la personne. Aucun autre individu, y compris son conjoint ne peut toucher à son intégrité sans son consentement, éclairé et pour chacun des actes sollicités. Un "Oui" hier (et encore moins un "Oui" en Mairie) ne vaut pas un "Oui" généralisé pour tout, à tout moment, en tout lieu, dans toutes les conditions.

Une intimité qui bien entendu est inaliénable pour un enfant par rapport à ses parents, ses frères et sœurs, ses oncles et tantes, ses grands-parents, ses cousins et cousines, ses beaux-parents, les voisins, les amis de la famille, le médecin de famille, le curé de la paroisse, l'entraineur du club sportif, les enseignants, et plus globalement tout adulte doté d'une autorité ou non.

Un proverbe à prendre avec des pincettes

Il y a un proverbe bien connu qui peut faire beaucoup de mal sur le champ de la sexualité, mais aussi pour toutes les décisions qui ont un impact sur l'environnement et la santé physique, psychique et sociale des humains directement ou indirectement concerné :

"Qui ne dit mot consent"
Il est attribué au Pape Boniface VIII (1235-1303) ("qui tacet consentire videtur")

Il peut être entendu de deux façons :
  • comme une vigilance à l'attention de celui et celle qui peut contribuer à une décision : attention, si tu ne dis rien, c'est que tu consens à la décision qui va être prise ; en ce sens, cela appelle à la responsabilité, voire au courage ;
  • comme un prétexte pour celles et ceux qui veulent pousser une décision à l'entériner sans se soucier des personnes qui ne se seraient pas exprimées ; un silence qui a pu même être induit par un environnement où la peur est instrumentalisée. Un proverbe exprimé souvent a posteriori d'une décision prise pour la justifier.
Dans la 2ème lecture, le proverbe est souvent cité par les coupables de viol pour nier la qualification de viol : "Elle était consentante, elle n'a pas dit "Non" ; donc, qui ne dit mot consent !". La mauvaise foi allant même jusqu'à considérer que même s'il y a eu un "Non" n'était pas un vrai "Non" (d'où l'idée que pour exprimer un vrai "Non", il faudrait dire "Non et vraiment Non !", ce qui montre la dérive incroyable de cette notion de consentement).

Selon moi, ce proverbe est intéressant en matière d'éthique de la Bienveillance si on le prend dans le sens de la première lecture : une invitation à jouer notre responsabilité de bienveillance dans les décisions collectives. Une invitation à combler l'implicite par de l'explicite. J'ai pu constater dans ma vie professionnelle qu'il était plus difficile pour un groupe de prendre une décision pas suffisamment bienveillante et carrément malveillante si l'on demande à chacun d'exprimer formellement son accord pour cette décision. Et inversément, j'ai vécu des situations où le fait qu'une seule personne se lève pour s'opposer à une décision en mettant en évidence son côté peu bienveillant ou malveillant pour que cela empêche finalement la décision.

La bienveillance, c'est de demander explicitement à autrui son consentement dans des prises de décisions collectives et quand il s'agit de relations sexuelles, à une exception près : il y a un cas où la question du consentement ne devrait même pas se poser : je reviens en l'occurrence au sujet de l'inceste. Il ne devrait pas avoir lieu à se demander si un enfant a été consentant ou non à des actes sexuels de la part d'un membre de son entourage familial pour qualifier l'acte de viol ou non. Les relations sexuelles avec un enfant n'ont tout simplement pas lieu d'être, d'exister. L'inceste étant de mon point de vue une anomalie DE notre société à saisir véritablement et définitivement (dans le sens : se donner tous les moyens).

Venons-en à la bienveillance

Comme je l'ai expliqué dans plusieurs de mes chroniques sur la bienveillance, la bienveillance ne s'arrête pas à l'absence de malveillance ou à une vision bisounours du monde. Elle relève de trois grandes attitudes : 


1/ Faire du bien : sur les sujets évoqués dans cet article, il s'agit déjà de faciliter la prise en charge des victimes.  Et il y a par ailleurs, un immense enjeu de prévention : faire de l'éradication de l'inceste un enjeu majeur de nos sociétés dites "modernes".

2/ Ne pas faire de mal : rendre les choses très claires dans la loi, et faire peser un poids considérable sur les individus qui pourraient penser qu'ils peuvent attenter dans l'impunité à l'intimité sexuelle d'enfants ou de leur conjoint à leur seul bon vouloir. Si la question du consentement est cruciale entre adulte, en revanche, elle ne devrait même pas se poser entre un adulte et un enfant : c'est NON et c'est criminel d'atteindre à l'intimité sexuelle d'un enfant. Il y a un enjeu considérable à ce que les enfants soient au clair avec le fait qu'un adulte, quel qu'il soit, n'a pas le droit d'avoir de relation sexuelle, sensuelle, ambigües avec eux. Et réciproquement, un adulte a le devoir de refuser les interactions d'un enfant dont les intentions seraient ambigües ou qui, carrément, seraient des invitations (qu'elles soient spontanées ou pilotées par un ou des adultes à des fins d'actes monnayés, notamment dans certains pays dans lesquelles certains individus se rendent pour du tourisme sexuel).

3/ Signaler et dénoncer le mal : cela s'adresse autant aux victimes qu'aux témoins. Il faut faciliter la libération de la parole. Il faut s'attaquer à cette peur qui peut scléroser notre société par rapport à ces enjeux relatifs à la santé physique, psychique et sociale d'enfants et de femmes : celle d'être confronté à une fausse allégation qui pourrait détruire la vie d'une personne soupçonnée à tort. Les professionnels de la psychologie infantile sont en capacité de repérer les fausses allégations, qu'elles soient dans le sens du déni ou dans le sens de fausse incrimination. Combien d'enfants risquons-nous de ne pas entendre par peur d'être confronté à quelques enfants qui incrimineraient un proche à tort et qui ne seraient pas détectés en tant que tel ?


En guide de conclusion, je vous invite à un geste très concret de bienveillance concernant l'inceste : signer la pétition demandant un changement de la loi sur 3 points :

"1. Tout acte sexuel incestueux sur un(e) mineur(e) de 0 à 18 ans doit être qualifié de crime incestueux et puni par la loi sans qu’un hypothétique « consentement » de la victime ne soit examiné. Aucun(e) mineur(e) ne saurait consentir à l’inceste !

2. L’âge minimum de consentement d’un(e) mineur(e) à des relations avec un adulte extérieur à la famille fait l’objet d’un large débat : nous demandons qu’il ne soit pas fixé en-dessous de 15 ans.

3. Les crimes sexuels sur mineur(e)s doivent être imprescriptibles."

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